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André Riffaud (1923-1944), un nom de rue qui n'évoque plus rien...

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Que reste t-il d'André Riffaut ? Une rue dans Carcassonne dont le nom n'évoque plus rien pour la majorité des habitants. Si seulement, mourir à 20 ans pour la liberté permettait d'obtenir une gratitude éternelle, à l'heure où l'on aurait bien besoin de nourrir ces symboles auprès de la jeunesse. 

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André Riffaut

(1923-1944)

Dès juillet 1943, André Riffaud s'était engagé dans le maquis Nisto et Esparros situé dans les Hautes-Pyrénées. Lorsqu'il revient dans son Aude natale, le jeune homme connu dans la clandestinité sous le pseudonyme de "Michel Gabin" prend le grade de lieutentant F.F.I au sein du maquis Jean Robert. Le 25 juillet 1944 alors qu'il se trouve au volant d'une Ford V8, lui et ses passagers sont attaqués par les Allemands et la Milice française près du village de Lairière. Au cours des échauffourées, Alcantara, Donaty et Prat sont tués. Bourges est fait prisonnier et sera libéré par les Allemands le 19 août 1944 de la Maison d'arrêt de Carcassonne. Quant à Riffaud, très sérieusement blessé aux jambes, il est amené. Interrogé à la prison par la Gestapo, il est laissé sans soins pendant trois jours et gardé par la Milice. Finalement transporté dans un état désespéré à l'hôpital général (actuel Dôme), le docteur Pierre Roueylou qui officiait à la clinique Brun, tentera l'impossible pour le sauver. Ce chirurgien soignait dans la clandestinité les maquisards de Villebazy.

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Les impacts de balles sur la Ford conduite par Riffaut

Le Dr Roueylou nous livre le témoignage poignant de sa tentative pour sauver André Riffaut, sous la menace des hommes de la Milice française de Carcassonne.

"Fin juillet 1944, les combats décisifs ont lieu, le rythme des évènements s’est fait plus rapide, la mort plus pressante, les passions plus aiguës encore. L’âme de la Résistance apparaît à fleur de peau.
L’ennemi a entrepris une vaste opération de démantèlement des maquis de l’Aude. Pour notre part, au maquis de Villebazy, nous avons dû décrocher et nous nous sommes dispersés avec, comme point de ralliement, les fermes de la Boulbonne et du Dessous dans le massif de la Malepère. les interventions, les liaisons se multiplient. On prend beaucoup plus de risques, mais une prudence au moins élémentaire doit rester de rigueur. J’ai donc accoutumé de passer mes nuits au maquis, ne réintégrant Carcassonne qu’à l’aube.
La dernière nuit avait été, un peu partout, particulièrement chaude. Ce matin là, un vendredi je crois, dès mon arrivée à l’hôpital (aujourd’hui, le Dôme. NDLR), j’apprends que plusieurs miliciens, blessés dans une embuscade, ont été hospitalisés.
Admis dans la nuit (je n’ose dire d’urgence), un blessé grave nous a été remis par les Allemands après évacuation de l’infirmerie de la prison où il a séjourné durant trois jours, sans aucun soin, depuis le mardi donc vraisemblablement. C’est dans cette prison de la route de Narbonne que l’infection s’allumera. Seuls des soins constant eussent pu l’éviter. Au vrai, les Allemands avaient été logiques dans leur mépris de soigner un homme de toute façon promis à la mort. Il avait dû y avoir, pour eux, mieux à faire.
Je suis très intrigué parce que personne ne sait rien de son identité et de ses origines et qu’il est gardé par trois miliciens en armes, me dit-on. Sans parler d’un quatrième qui a pris faction depuis quelques instants, mousqueton à l’épaule, à la grande porte d’entrée de l’hôpital.
Il d’agit donc, à n’en pas douter, d’un hôte de marque. Et de chez nous, c’est certain. J’en assumerai donc personnellement la charge, en plein accord avec notre chef du service chirurgical, le docteur Brun à qui j’ai déjà téléphoné.
Me voici donc dans le couloir, devant la porte d’isolement qui fait face au bloc opératoire. De fait, se tient là un premier milicien, colt dégainé. L’accès à la chambre m’est interdit, le passage ne me sera donné qu’après avoir décliné mon identité.
Silence de glace…
Deux miliciens sont debout dans le coin droit de la pièce. En armes naturellement.
Du lit blanc se détache le visage émacié d’un gamin de 20 ans, un visage de Christ dévoré par de grands yeux marqués par une interrogation : Suis-je enfin l’ami attendu en vain depuis trois jours ? Des yeux déjà lointains dans les orbites et comme enfoncés dans d’étroites cavernes. Une peau qui a dû être très mate, un nez dont les ailes battent la chamade. Des lèvres amincies et violettes, une langue rôtie, des pommettes saillantes, un front d’où perle une froide moiteur à laquelle viennent se coller quelques mèches d’une chevelure très particulière, d’un très beau blond cuivré.
Pas un mot entre nous. Gestes routiniers du professionnel. Pouls filant, température élevée, pâleur de cire. Mais des yeux qui se scrutent et deux mains qui s’étreignent.
André Riffaut, le clandestin « Michel Gabin », du maquis FTP Faïta, avait dès cet instant compris que j’étais bien celui qu’il attendait. Tout de suite je sais que je l’aimerai comme un frère.
Sur son visage se dessine un éclair, une rosée perce dans son regard. Difficile d’imaginer poésie plus véhémente.
André présente une plaie transfixiante de la racine de la cuisse droite. Son fémur est brisé, sa cuisse très œdématiée est déjà porteuse de marbrures typiques bien qu’aucune crépitation gazeuse ne soit encore apparue.
Mais André ne mourra pas. Je refuse cette éventualité. Il est trop jeune, trop beau, trop fort, trop exemplaire aussi. On le disputera à la mort et à ses tortionnaires et à leur univers inhumain. Par tous les moyens. J’en fait serment. Et pourtant cet état septicémique, ces marbrures - comme tout cela est inquiétant.
Visite du docteur Brun. Un maître authentique auquel je voue un respect filial. pronostic sombre auquel je refuse, sans mot dire, de m’associer.
Contact immédiat avec le Corps-franc du maquis de Villebazy. C’est entendu, dès que l’état d’André ke permettra, un commando l’arrachera à la milice qui sera massacrée. Mon plan est déjà arrêté.
Mais le soir, vendredi soir, André flotte sur la fièvre, serait-il déjà un agonisant qui je bercerai en vain ? Et serait-il vrai que la vie peut ainsi lancer, à toute volée, la graine de mort, même sur un enfant de 20 ans ? Il faut pourtant se rendre à l’évidence. Les marbrures ont progressé, une crépitation fine très caractéristique est maintenant perçue. La gangrène pavoise.
Une opération de la dernière chance sera tentée. Le membre sera sacrifié en totalité. Avec les moyens de l’époque, c’est-à-dire sans banque du sang et sans antibiotiques. Simplement du sérum antigangréneux - inefficace comme on sait, au moins à ce stade. Pour le sang, d’un groupe assez rare dont je fais par chance justement partie, j’en donnerai deux fois dans quelques heures qui suivront l’intervention.
Il faut sauver cet enfant…
La journée de samedi est marquée sinon par une rémission mais en tous cas par un état qui ne paraît pas se dégrader. On reprend espoir, pour peu de temps puisque le dimanche, vers midi, André est comateux. Il s’éteindra en fin de soirée.
Je revois l’enfant mort, un jeune garçon dont j’ai encore dans ma main les mains qui refroidissent.
Les miliciens quittent la chambre, devoir scrupuleusement accompli, puisqu’ils avaient, un premier moment, exigé même d’assister à l’intervention.
Dois-je le taire ? Si grande peur que j’aie de connaître une bouffée de haine. Il est vrai que j’ai appelé et que j’appelle encore vengeance. Longtemps déjà pourtant que c’est fini.
Le père est arrivé. Mais je reste seul avec mon petit mort. Donnez-moi la paix ! La chambre sent l’innocence. Y a t-il 33 ans de cela, est-ce aujourd’hui ? J’ai vécu chaque minute de cette agonie et la lassitude m’écrase encore.
Le corps d’André, enveloppé dans un linceul tout blanc, est hissé sur un charreton que nous pousserons, le père et moi, jusqu’au plateau Paul Lacombe où demeure la famille. Les roues qui crissent, déchirent la soie de la nuit qui tombe.
Michel Gabin, pour un temps encore, sera inhumé le mardi soir à Carcassonne même. Une foule immense, évaluée à plus de 3000 personnes l’accompagne malgré la présence de l’appareil policier milicien que nous reconnaissions au passage. L’âme profonde du pays a enfin, après bien des atermoiements, des reniements, des démissions, pris conscience de ses devoirs.
Le père aumônier, l’abbé Pons (Chanoine Auguste-Pierre Pont. NDLR), donnera l’absoute dans l’église de Saint-Gimer et prononcera une très belle oraison funèbre."

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Le monument érigé en mémoire des quatre victimes du 25 juillet 1944 dans le village de Lairière.

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Ce Carcassonnais qui décora Walt Disney de la légion d'honneur à Los Angeles

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Chez Eurodisney, une photographie encadrée orne fièrement l'un des bureaux du siège du groupe. Il s'agit de Walt Disney recevant le 8 juin 1936 depuis l'Hyperion Studio à Los Angeles, les insignes de Chevalier de la légion d'honneur. Si tout le monde se souvient du récipiendaire, il y a fort à parier que plus personne n'a retenu le nom de Jean Joseph Viala, Consul de France à Los Angeles.

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© EuroDisney

Jean Joseph Viala naît à Carcassonne le 21 juillet 1895 au n°21 de la rue de l'Aigle d'or. Après des études primaires à l'école du Bastion, puis secondaire au lycée de garçons, le jeune homme décroche son baccalauréat sans difficultés. Lorsque la Grande guerre éclate il est mobilisé, mais se blesse en ramassant une fusée allemande qui lui éclate dans la main. Evacué le 22 septembre 1917, il perd les quatre doigts de la main gauche et rentre chez ses parents à Carcassonne, 1bis rue de la Liberté. La croix de guerre avec étoile de bronze lui est alors attribuée. Malgré cet handicap, Jean Joseph Viala n'entend pas mettre un terme à ses ambitions. Il prépare le concours des commis de la chancellerie ; il le passe avec succès avant d'être nommé au Consulat de France à Sidney. Il accède ensuite au poste de Vice-consul de France à Glasgow, puis de Londres. Nous sommes exactement le 23 janvier 1928. 

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Walt Disney, Mme Viala née Bonin et sa fille Janine

A Los Angeles, le Consul de France fréquente les stars de cinéma : Greta Garbo, Gary Cooper, Claudette Colbert, etc. C'est précisément à cette époque qu'il décore Walt Disney de la légion d'honneur. Pour l'anecdote, le dessinateur demandera à ce que l'on épingle la médaille sur un Mickey grandeur nature.

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Jean Joseph Viala et Walt Disney

Le "concours du Quai" en poche, notre diplomate travaille au Consul de France à Paris en avril 1940 et se spécialise dans le droit maritime. Il publie un traité que l'on appelle "Le Viala". Cette même année et jusqu'en 1945, il occupe dans la capitale puis à Vichy, les responsabilités de chef de service du Chiffre (Messages secrets). Après la Libération, Jean Joseph Viala devient Consul général de France à Chicago puis directeur du Chiffre. A l'issue de l'indépendance des anciennes colonies d'Afrique du Nord, il met en place le Consul du Maroc et de Tunisie. Il finira sa carrière de diplomate comme Ambassadeur de France au Libéria, puis se retira à Carcassonne. Le 5 février 1960, M. Viala entre au comité directeur du Syndicat d'Initiatives avant d'en devenir le vice-président le 11 mars 1963. A Jean Deschamps - directeur du festival de la Cité - il prodigue de nombreux conseils en sa qualité de président des Amis de l'orgue de Saint-Nazaire. L'ancien ministre plénipotentiaire ouvre même une galerie d'art "Le tréseau" dans la Cité médiévale, dans laquelle il habite. Beau-père de Jacques Reynès - président de la Fédération de Jeu à Treize et de l'ASC XIII - Jean Joseph Viala s'éteint le 16 février 1964 à Carcassonne. Ses obsèques ont lieu dans la basilique Saint-Nazaire.

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Ribaute et Moux : villages martyrs de la Seconde guerre mondiale

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Ribaute

Le régime de Vichy avait interdit les bals, mais la jeunesse du pays bravait régulièrement l'interdiction. Le 23 juillet 1944 vers 22H45, alors que celle du village de Ribaute dansait au son d'un pick-up dans la vieille gare désaffectée des tramways de l'Aude, un terrible évènement allait survenir.

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La gare de Ribaute dans les années 1950

Une colonne de soldats Allemands de retour d'une opération contre le maquis à Vignevieille et visiblement excitée stoppa son macabre cortège à hauteur du bal clandestin. Plusieurs rafales de mitraillette sont alors tirées en direction du local et sur la maison d'Henri Maury, maire de Ribaute. La gare et le poids public sont criblés de projectiles. "Rendez-vous ! Haut les mains" La trentaine de jeunes rassemblés dans la gare s'enfuit à travers les vignes, lorsque plusieurs d'entre-eux sont atteints par le feu ennemi. Un véritable tir au pigeon ! Au sol, deux jeunes hommes gisent inanimés. André Beaudouy, né à Ribaute le 18 janvier 1921 est tué sur le coup par une balle explosive en plein cœur. Adrien Bringuier, né le 2 août 1910 à Camplong subit le même sort. A l'arrivée des gendarmes, les corps des victimes avaient été déposés, l'un à la mairie, l'autre chez ses parents. 

Cette furie meurtrière contre un groupe sans défense fera également trois blessés : Jean Boch, Antoine Miron et François Roux. Le jeune Francis Gélis sera embarqué sur l'un des camions des barbares et relâché le lendemain soir. Pour justifier ce crime de guerre contre des civils, l'autorité Allemande prétendra qu'elle venait de tomber dans une embuscade de maquisards F.T.P. Cette information sera bien entendu validée par la préfecture et le gouvernement de Vichy.

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Le lieu du drame, à la sortie de Ribaute

Les témoins

Antoine Miron, 24 ans, cultivateur à Ribaute, né le 8 avril 1920 à Chriribel (Espagne) déclare : Le 23 juillet 1944 vers 22h45 alors que je me trouvais dans le local de la Maison des jeunes (gare de Ribaute), j'ai entendu plusieurs spectateurs qui regardaient danser, dire : "Voilà les Allemands". Ils se sont sauvés. Presqu'aussitôt alors que je me trouvais à l'intérieur, j'ai entendu plusieurs rafales d'une arme automatique. Les balles atteignaient la façade du mur de ce local. Me voyant en danger je suis sorti, mais avant de franchir le seuil de la porte, j'ai été légèrement blessé par deux éclats de balle à la jambe gauche, au-dessus de la cheville. Je me suis sauvé dans une vigne et suis allé me caché près de la rivière Orbieu. Avant mon départ du local, mon camarade Beaudouy avait été tué sur le coup. Je n'ai entendu aucune sommation faite par les Allemands.

Le récit de Robert Anguille

La journée avait été belle et chaude. La nuit était tombée. Une nuit bien noire, sans lune, sans éclairage public pour cause de black out. Après avoir écouté les informations diffusées en français sur Radio Londres, «  Les français parlent aux français », je m’apprêtais à me rendre à l’ancienne gare du tramway, un petit bâtiment où la jeunesse ribautoise se retrouvait le dimanche au soir pour danser sur la musique d’un vieux pick up et où mon frère marié un mois plus tôt m’avait précédé avec son épouse. Mon père, qui se couchait tôt, sortit de la maison et fit quelques pas avec moi vers la route où il avait l’habitude d’aller ausculter le ciel pour se faire une opinion sur les probabilités météorologiques du lendemain.
Notre maison était celle qui se situe au n° 12 de la Rue Marcellin Albert ; nous avions donc à gravir les deux courtes rampes qui nous séparaient de la route. En arrivant à hauteur de l’impasse aujourd’hui baptisé François Mitterand, une ombre a surgi de la pénombre, nous avons reconnu à la voix notre voisine Emma, dont la maison se situait au n° 1 de l’impasse. Elle nous dit que plusieurs camions venaient d’entrer dans le village et qu’ils étaient stationnés sur la route, moteurs et feux éteints.
«  Je crois que ce sont des allemands », dit-elle. La nuit était si sombre qu’on ne voyait pas les véhicules qui n’étaient pourtant qu’à une vingtaine de mètres, mais on entendait des éclats de voix à l’accent germanique. Et puis, la voix inquiète de madame Marguerite Rouger, épouse de l’instituteur, qui cherchait son fils : « Vous n’avez pas vu Max ? ». A qui s’adressait-elle dans la nuit noire, sur la route où s’était arrêté le convoi ?
Soudain, une forte détonation et, avec le sifflement caractéristique des fusées, précisément une fusée éclairante s’élève, une sorte de serpent éblouissant éclairant pendant quelques instants d’une lumière crue les murs des maisons et les camions à l’arrêt sur la route. Mon père, à qui cette chose rappelait sans doute de sombres souvenirs, me saisit par le bras et nous redescendons précipitamment jusqu’à notre maison tandis que l’on entend le crépitement d’une mitrailleuse du côté de la gare.
La porte refermée à clef, avec mon père, ma mère et ma grand’mère maternelle nous allons vivre dans l’angoisse des heures interminables. Combien de temps les tirs ont-ils duré ? Dix minutes, peut- être davantage, avec de courtes interruptions. Enfin, après un moment de silence, une dernière et brève rafale.
Deux heures après ou peut-être davantage on frappe à la porte ; mon frère et sa femme entrent. Leurs visages reflètent la peur qu’ils ont connue, leurs habits déchirés témoignent d’une fuite précipitée à travers des broussailles et par des endroits ravinés.
Ils racontent : «  Nous dansions dans la gare dont la porte était grande ouverte lorsque des garçons qui prenaient l’air sont entrés et ont dit que des camions étaient là, à moins de quarante mètres. Le temps de s’interroger sur cette présence et c’est la fusée éclairante et le crépitement des armes à feu. C’est l’affolement. Certains sortent et sautent dans la vigne qui se trouve en contrebas ; d’autres restent terrés à l’intérieur après avoir refermé la porte en tôle épaisse. Lorsque les tirs marquent une pause la porte est rouverte et d’autres jeunes gens s’enfuient dans la nuit par la vigne. Ils iront tous se cacher dans le breil, un espace végétal naturel qui borde la rivière « Orbieu », là où débouche le « Rec ( ruisseau ) Torrent » .
Un silence lourd règne maintenant dans Ribaute. Les chiens qui aboyaient se sont tus.
Au petit matin la stupeur se lit sur les visages de celles et ceux qui se retrouvent dans la rue et sur la place pour parler de ce terrible événement.
On apprend qu’il y a eu deux tués, deux ou trois blessés légers et un enlèvement. Louis Beaudouvy, 23 ans, père d’une enfant de trois mois, a reçu une balle explosive en plein cœur. Un nommé Bringuier, homme d’une trentaine d’années qui habitait à Camplong et le jeune Francis Gélis, 16 ans, étaient embarqués de force sur un camion. Bringuier a tenté de s’échapper, on l’a retrouvé mort, criblé de balles, dans la partie haute de la rue de l’Abeille. Francis a été emmené à Carcassonne, obligé, au besoin à coups de crosse, de se tenir accroupi et les mains sur la tête tout au long du voyage. Ses parents réussiront à le faire libérer le lendemain.
Ce dimanche-là, la colonne des militaires allemands était montée à l’assaut d’un groupe de maquisards situé sur le territoire de la commune de Lairière, au bord du plateau de Lacamp. Il y avait eu des tués des deux côtés; les allemands ramenaient leurs morts dans leurs camions. A Durfort, où ils se sont arrêtés, ils ont trouvé du vin dans une cave, ils ont bu tout ce qu’ils ont pu engloutir et sont repartis non sans avoir mis le feu à la seule maison habitable de Durfort, inoccupée ce jour-là .
A Ribaute le mitraillage avait copieusement arrosé l’espace de l’ancienne gare. La porte en tôle épaisse du petit bâtiment a été transpercée à plusieurs endroits par les balles. On a relevé des dégradations de la façade . La maison de Mr Henri Maury, alors maire, a reçu de nombreux impacts. Pour se protéger des tirs, M. Maury et son gendre, Jean Sérasse, avaient plaqué des matelas contre les fenêtres.
Nous apprendrons le lendemain que le village de Moux a connu un pareil drame puisque deux jeunes hommes qui rentraient tranquillement chez eux ont été tués au fusil mitrailleur manié depuis l’un des camions qui ne se sont pas arrêtés.

Moux

Vers 23h30 ce même 23 juillet 1944, les mêmes criminels Allemands traversent le village de Moux. A la hauteur du café Rigaud, ils stoppent leurs camions lorsque plusieurs jeunes sortent de l'établissement. Il est tard et la loi proscrit l'ouverture des estaminets à cette heure avancée de la soirée. Le maire, M. Huc, avait déjà averti le patron qui n'en tint pas compte. Farail René et son frère Roger, Souquet Joseph et Raynaud Marcel font face aux soldats d'Hitler. 

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L'ancien café Rigaud, avenue Henri Bataille

"Les Allemands nous ont lancé un appel que j'ai pris pour une sommation. Je me suis arrêté et j'ai levé les deux mains en l'air. Immédiatement une rafale de mitraillette a crépité et m'a blessé à la main droite. Me voyant blessé, je me suis enfui. Une deuxième rafale m'a touché aux jambes, ainsi qu'au côté gauche. Je suis tombé par terre, et comme je commençais à perdre connaissance j'ai aperçu des soldats qui me fouillaient. Je suis resté évanoui je ne sais combien de temps et quand j'ai repris mes sens, j'ai appelé au secours. Ce sont des employés de la gare allemande de permanence à la dite station qui m'ont relevé et porté chez des voisins, Madame Noguès. J'ai parlé à mon camarade Souquet qui m'a répondu : "Je suis touché au bas ventre", tandis que l'autre ne m'a pas répondu. J'ai su après qu'il s'agissait de Raynaud.' (Farail Roger)

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La rue de la Bade, où Marcel Raynaud a été tué

A 2h15, le jeune Souquet, né à Moux le 19 Juillet 1926, succombait à ses blessures dans l'ambulance de la clinique Delteil. Elle n'atteindra Moux qu'à 3h30 du matin avec un officier de paix, le Dr Delteil et le gardien Laffont. Le jeune Raynaud Marcel, né à Moux le 31 janvier 1925, ne sera retrouvé que le lendemain matin dans la rue Bade, couché dans une mare de sang.

Hier, 23 courant à 23h30, j'ai quitté le café Rigaud, avec trois de mes camarades et mon frère Roger. Avant nous, cinq ou six soldats Allemands qui prennent la garde de la voie étaient sortis du café et se dirigeaient lentement vers l'avenue de la gare. Comme ces militaires étaient légèrement pris de boisson et craignant qu'ils nous cherchaient dispute, nous nous sommes arrêtés sur le trottoir pour leur laisser prendre de l'avance. A ce moment, un convoi automobile venant de la direction de Narbonne, marchant très lentement est arrivé à notre hauteur. Craignant une rafle, j'ai dit  :"Planquons nous" et nous avons longé le mur à droite du café en direction de Narbonne. Nous nous sommes engagés dans une rue transversale, seul Raymond Sieras a rejoint son domicile situé à 20 mètres du café dans le sens opposé. Ayant entendu crier "Halt", j'ai supposé que c'était le signal d'arrêt du convoi et j'ai continué à m'enfuir. Mon frère, Joseph Souquet et Marcel Raynaud, ont levé les bras et se sont arrêtés. N'en tenant aucun compte, les occupants du convoi ont tiré sur eux une rafale de coups de feu." (Farail René)

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Une plaque rappelle ce crime de guerre

Nous allons parler des coupables ! Il s'agit du 71e régiment de l'air de Carcassonne dit "de Lisieux" commandé par le capitaine Hermann Nordstern en relation avec la Gestapo de Carcassonne dirigée par le Unterscharführer-SS Hermann Eckfellner. Cette colonne Allemande descendait de Lairière où elle s'était attaquée au maquis de Villebazy. Plusieurs fermes avaient été brûlées... Ceci sur la dénonciation de l'emplacement du maquis par le milicien Brun.

Sources

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Témoignage Robert Anguille

Archives militaires

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Le docteur Albert Tomey, maire de Carcassonne

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Albert Tomey naît à Carcassonne le 22 juin 1882 dans un bel immeuble de type Hausmanien, construit par Marius Esparseil en 1880. Après des études à la Faculté de médecine de Toulouse où il a comme collègue et ami le futur Dr Ducuing, le jeune médecin s'installe dans sa ville natale en 1913. Il établit son cabinet chez lui, place Davilla.

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Albert Tomey

(1882-1959)

 Après la Grande guerre, Albert Tomey se lance en politique sous l'étiquette Radical-Socialiste à l'assaut de la mairie de Carcassonne. Le 10 décembre 1919, il est élu premier magistrat de la ville et effectuera le plus long mandat à ce poste jusqu'à sa révocation en 1941 par le Maréchal Pétain. Le 14 octobre 1928, le Dr Tomey entre au Conseil départemental comme Conseiller du Canton ouest.

Choqué par le taux de mortalité infantile engendré par la déplorable hygiène qui régnait à Carcassonne, le nouveau marie s'attela tout d'abord à doter la ville d'une système de tout à l'égout. Les écoles publiques étaient négligées, mal entretenues. L'une d'elles, celle du Square Gambetta, était dans un tel état que les rats d'égout venaient se promener dans les salles, même pendant les cours. Dans ce milieu, le souci de la salubrité publique, passait au second plan. Quelques maisons avaient des fosses ; c'était presque du luxe malgré les désagréments de la vidange. La majorité n'avaient pas de WC ! Dès la tombée de la nuit, la rue devenait un dépotoir à l'atmosphère irrespirable. Les vespasiennes mal entretenues étaient autant de foyers d'infection. Un service de répurgation se faisait au minimum. Les boites à ordures n'existaient pas et en permanence, on voyait de petits tas d'ordures devant les maisons, le long des trottoirs en pleine rue. L'eau d'alimentation n'avait rien de potable : des maladies étaient dans la ville à l'état endémique. 

Le conseil municipal prit du temps à faire installer le tout-à-l'égout, car le coût des travaux ne permit pas de le commencer rapidement. Le financement de l'état participa à l'œuvre d'hygiène et les Carcassonnais purent se soulager chez eux dès 1926. On dit à juste titre que le Dr Tomey transforma totalement Carcassonne au cours de ses mandats. Voyez plutôt...

Hygiène publique

Auto-javelisation des eaux par le procédé Bunau-Varilla (1925), Equipement d'un réseau de tout-à-l'égout (1926), Raccordement des immeubles au réseau général de distribution d'eau (1928), Installation du régime des poubelles. Enlèvement des ordures ménagères par des véhicules à traction électrique (1929), Construction de la station de pompage de l'île (1930), Modernisation des abattoirs et construction du deuxième réservoir de Grazailles (1931), Création de chalets de nécessité (1939)

Jeunesse

Création de l'école André Chénier (1921), Construction de l'école Jean Jaurès en remplacement de l'école du musée et de l'école du square (1924), Construction du lycée de jeunes filles - aujourd'hui collège Varsovie (1928), Agrandissement de l'école du Bastion, Création du Parc municipal des sports de la Pépinière - aujourd'hui stade Domec  (1934).

Urbanisation

Classement de la ville en station de tourisme. Création d'une Chambre d'industrie touristique (1922), Passage cimentés sur les boulevards (1926), Electrification des écarts et cimentant des rues (1930), Restauration du Théâtre municipal et création de la caserne des pompiers (1933), Restauration de l'hôtel de ville (1934), Bourse du travail (1937), Substitution de l'éclairage public électrique à l'éclairage au gaz de ville (1938). 

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Le conseil municipal d'Albert Tomey

L'œuvre de Tomey aurait sans doute perduré, si son conseil municipal n'avait pas été révoqué par le maréchal Pétain le 9 février 1941. On ne remettra pas en cause les valeurs d'humanité, ni les idées républicaines d'Albert Tomey. Toutefois, il faut s'interroger sur les raisons pour lesquelles les historiens locaux n'ont jamais évoqué l'activité de l'ancien maire durant le règne de Vichy. Les archives sont pourtant bien là et sans vouloir faire la morale, il faut que la vérité historique soit révélée dans son ensemble. Après la Libération, la Commission d'Epuration de Contrôle et de Sélection de l'Aude se penchera sur le cas du Dr Tomey. L'Union Locale des Syndicats Ouvriers de Carcassonne - C.G.T par la voix de M. Bonnemaison souhaitera envoyer Albert Tomey devant la Chambre civique. En effet, si le docteur avait été révoqué de son poste de maire, Vichy l'avait nommé à la tête du Conseil départemental de l'Aude. A ce titre, il avait été présent à la soirée inaugurale de la Milice de l'Aude le 28 février 1943 au Théâtre municipal. Les communistes qui venaient de payer un lourd tribu pour la Libération du pays, n'entendaient pas faire de cadeaux aux Radicaux dont beaucoup avaient choisi de voter les pleins pouvoirs à Pétain en 1940. On avança des preuves... Par exemple, les coupures des journaux de cette fameuse soirée de 1943 repris par "La République sociale" le 14 décembre 1944 :

"La constitution de la Milice eut lieu, pour notre département, le 28 février 1943 au Théâtre municipal de Carcassonne. Cette réunion était présidée par M. Freud-Valade, préfet de l'Aude, entouré du Dr Tomey, Conseiller national ; Caillard, délégué régional de la Légion des Combattants, etc."

Dans sa conclusion, le Commissaire spécial de Carcassonne déclara dans un courrier adressé au Commissaire du gouvernement le 27 février 1945 que "les fonctions qu'il a exercé (Dr Tomey) sous Vichy et sa présence à la soirée inaugurale de la Milice, ne peuvent être considérées, à mon avis, comme tombant sous le coup de l'ordonnance du 26 novembre 1944." L'argumentaire du commissaire minore les responsabilités de l'ancien maire en arguant que celui-ci n'a jamais fait de propagande et que ses fonctions n'avaient pas de pouvoir politique. Nous ne ferons pas juge de ce qui a été jugé, mais il semblerait que l'on ai fait preuve d'une certaine mansuétude, au regard d'autres cas. Si le Dr Tomey garda son poste de Président du Conseil départemental nommé par Vichy jusqu'à la Libération, sa carrière politique s'arrêta avec le retour de la République.

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L'immeuble Tomey, place Davilla

 Le 19 novembre 1959 s'éteignait à Carcassonne Albert Tomey à l'âge de 77 ans. Ses obsèques avaient lieu le lendemain et le cortège funèbre empruntait les boulevards de Varsovie et Omer Sarraut avant d'arriver à l'église Saint-Vincent. Les cordons du poêle étaient tenus par le maire Jules Fil et trois de ses prédécesseurs   : Philippe Soum, Parce Itard-Longueville et même Jules Jourdanne qui fut nommé par Vichy. Suivant la dépouille mortelle d'Albert Tomey, on remarquait les docteurs Buscail, Babou, Héran, Albert, Millet et Peyronnet. Gazel (Président des anciens combattants), Joseph Jean (Ancien secrétaire de mairie), Julia (adjoint au maire), Ct Béteille, Callat (Président du Souvenir Français), Noubel (Conseiller général) et les anciens collaborateurs d'Albert Tomey : Amiel, Sarcos, Boudenne, Rimalho, Nogué, Bruela, Blanchard (ingénieur de la ville), etc.

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Le 10 février 1967, l'ancienne rue du marché prit le nom d'Albert Tomey, en reconnaissance pour l'œuvre qu'il avait accomplie en faveur des Carcassonnais au cours de ses mandats. S'il n'y a pas de rue Jean Mistler à Castelnaudary, il y a une rue Tomey à Carcassonne. Toute l'ambiguïté de la capitale audoise est peut-être bien là...

Sources

ADA 11 / Fonds Francis Vals

Journaux locaux

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Histoire de l'ancienne clinique Cathala, avenue F. Roosevelt

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A Carcassonne, on a semble t-il l'art et la manière d'enlaidir ou de détruire les bâtiments anciens. Le Carcassonnais qui emprunte chaque jour l'avenue Roosevelt - anciennement route de Toulouse - se souvient-il qu'il y a avait à côté de feu la "Villa de la Gestapo", la clinique Cathala ? Tout ce quartier construit au XIXe siècle possédait des demeures bourgeoises que petit à petit l'on fait disparaître. Les architectes de chez Légo s'en donnent à cœur joie...

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L'immeuble cachant la clinique Cathala

Cet immeuble du plus bel effet fut construit au milieu des années 1980, sur l'emprise du parc de la clinique Cathala. Où est donc passé le bâtiment ancien ? Il n'a pas été détruit, mais il est masqué et se trouve derrière l'emplâtre bétonné.

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Ainsi qu'on le voit sur ce cliché aérien, le bâtiment de la clinique se trouve au centre des structures modernes. L'une donne sur la voie ferrée, l'autre sur l'avenue Roosevelt.

Un peu d'histoire...

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© Dr Robinet

La clinique Cathala dans les années 1970

En 1922, Maurice Cathala fait l'acquisition de l'ancienne propriété de Napoléon Jacques Alexandre Salières-Roumens. L'année suivante, il ouvre à cet endroit une clinique - le Dr Delteil en fait de même dans le centre-ville de Carcassonne. Une extension est réalisée dans les années 1930, puis le docteur décède en 1947. Plusieurs médecins se succèderont avant que Charles Cathala ne reprennent en 1956 la direction, laissée vacante suite au décès de son père. Destin tragique que celui de la famille Cathala ! Charles et son épouse Marie se tuent au volant de leur véhicule en 1963.

"Le Dr Cathala était l'une des personnalités les plus marquantes de Carcassonne. Il avait fait ses études au lycée de la ville, puis à la Faculté de médecine de Montpellier. Après avoir été interne des hôpitaux d'Avignon, il prit la direction il y a environ quatre ans de la clinique créée par son père. En octobre 1962, il s'était adjoint le docteur Robinet, chirurgien. Il laisse le souvenir d'un praticien de talent et d'un homme de cœur qui ne savait rien refuser et que sa clientèle tenait en grande estime. Il laisse trois enfants : Pierre (7 ans), Sophie (4 ans) et Henri (2 ans). La porsche qui roulait à vive allure en direction de Béziers  a raté un virage sur la N610 à la hauteur du village de Tourouzelle dans la commune de La Redorte."(Extrait du Midi-Libre - 19.04.1963)

Cette maison de maître était occupé au rez-de-chaussée par la famille Cathala ; les premiers et seconds étages avaient été aménagés pour le chambre de la clinique. Sur le devant - précisément où se trouve la résidence en béton - un parc arboré avec un massif floral en son centre faisait office de rond-point pour la circulation des véhicules entrant et sortant de l'établissement. En 1962, une extension des bâtiments permit la réalisation d'un bloc opératoire complet ; la clinique compta jusqu'à 40 chambres. A cette époque, Carcassonne possédait 4 cliniques : Héran, Delteil, Saint-Vincent et donc Cathala. Six mois avant le tragique accident, Charles Cathala s'était associé avec Jacques Robinet. Ce dernier dut prendre ensuite la direction de l'établissement jusqu'en 1980, date à laquelle il intégra l'hôpital Antoine Gayraud. La clinique Cathala ferma l'année suivante et fut vendue par les trois enfants de Charles Cathala. Destin tragique également pour deux d'entre-eux : Pierre décéda à Toulouse à l'âge de 39 ans en faisant son jogging, Sophie à l'âge de 40 ans dans un accident de moto. Seul le dernier est encore pilote d'hélicoptère aux Etats-Unis.

Sources

H. Alaux

Merci à Jacques Robinet

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Des erreurs et des oublis sur le nouveau Monument aux morts, parvis de la Cathédrale

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Au mois de février dernier, les autorités municipales et nationales inauguraient le nouveau parvis de la cathédrale Saint-Michel. On constatait que le monument des enfants de Carcassonne morts pour la patrie réalisé en 1919 avait été déposé. Sur le nouveau monument on retrouve les soldats de la Première guerre mondiale, de la Seconde guerre mondiale avec ses victimes civiles, d'Indochine et d'Afrique du Nord. Or, en se penchant dans le détail sur cette longue liste, on s'aperçoit au moins d'un oubli de taille.

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© Ville de Carcassonne

La ville de Carcassonne à ses enfants, morts pour la patrie

Le nom du jeune Résistant Marceau Perrutel (1908-1944) ne figure pas dans la liste. Né à Castelnaudary, mais ayant toute sa famille à Carcassonne et encore aujourd'hui, il fut assassiné par la Gestapo. Une rue dans le quartier des Capucins porte même son nom... On pourrait se dire, c'est peut-être parce qu'il n'était pas né dans la capitale audoise. Certes, mais alors pourquoi y trouverait-on Jean Bringer et Aimé Ramond qui l'un et l'autre sont nés respectivement à Vincennes (94) et à Montgeard (31) ? 

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Le nom de Marceau Perrutel est absent

Ci-dessus, on remarque le nom de Pheloup Roger dans la liste des victimes de 39-45. Or, il s'agit très probablement de Pheloup Robert, mort en août 1951 à Dong Khé Cao Bang (Tonkin) durant la guerre d'Indochine. Son décès est bien enregistré à Carcassonne. Notons qu'il ne figure pas dans la liste du monument des morts d'Indochine. Non seulement le prénom est inexact, mais l'emplacement est erroné.  

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© Ville de Carcassonne

Le nouveau parvis

Je n'ai révélé que ces deux cas, mais il serait souhaitable de vérifier sérieusement l'ensemble du panneau. J'ignore si cette vérification a été exécuté sous les hospices du Souvenir français, avant la réalisation du monument. Il est tout de même impensable que de tels oublis se produisent, compte tenu du coût important des travaux financés majoritairement par l'état. Sans compter que le système d'alimentation en eau ne fonctionne toujours pas, pour alimenter le bassin et l'arrosage des plantations.

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La nouvelle région Occitanie, un vieux rêve Pétainiste de 78 ans ?

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Lorsqu'on étudie avec attention les archives du gouvernement de Vichy, on s'aperçoit d'une chose assez troublante... Les félibres et autres défenseurs de la culture occitane s'étaient presque tous rangés dès 1940 derrière l'étendard de Philippe Pétain, maréchal de France. Dans l'Aude, ils prirent même une place de choix au sein des conseils municipaux nommés par Vichy. La révocation des maires républicains ayant refusé de prêter allégeance à Pétain, suffit à satisfaire les nostalgiques des anciennes provinces de l'Ancien Régime. Il souffla du côté de l'Etat-Français comme un esprit de revanche contre une Révolution française, responsable de tous les maux du pays. Alors, sur son passage, on applaudit à tout rompre ce vieillard avec sa Révolution nationale accrochée au cœur. Il incarnerait, paraît-il, la renaissance de l'idéal de nos provinces d'autrefois avec leurs langues et leurs beaux pâturages. Comme l'écrivit Jean Cassou, l'Occitanie devint : "Ce petit royaume pétainiste avec ses saluts aux couleurs et ses allumages de flamme." Pas si étonnant que la classe politique majoritairement Radical-socialiste dans l'Aude, soutienne les vertus du maréchal au moins jusqu'en 1942.

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Les provinces de France en 1788

D'où vient, me direz-vous, cet amour soudain des Occitanistes pour Philippe Pétain ? En vérité, il est moins le fruit d'un concours de circonstances politiques, que d'une filiation dans laquelle les deux parties trouvèrent les alliés. Qui sont-ils ? Charles Maurras et Frédéric Mistral ! Charles Maurras, doctrinaire du mouvement "La ligue d'Action Française" créée en 1905, préconisait le retour à la monarchie héréditaire et au catholicisme. Il concevait une décentralisation inspirée de l'Ancien Régime, laissant aux corporations, aux villes et aux régions la possibilité de s'administrer elles-mêmes. Rêve également de la Grande Europe du IIIe Reich qui planifiera tout cela... Antiparlementaire, Maurras écrivit que "le député reçoit de ses électeurs un mandat d'entrepreneur de crises ministérielles". Autrement dit, il ne sert à rien. Aujourd'hui encore les actuels pourfendeurs idéologiques du parlementarisme, inondent les réseaux sociaux de slogans (fake news) dénonçant les supposés fainéants de l'Assemblée nationale, grassement rémunérés et forcément inutiles. Sur ce point et tant d'autres, le régime de Vichy s'était aligné sur les positions de Maurras, c'est-à-dire le culte du chef plutôt que la démocratie parlementaire. Citons-le tout de même : "La démocratie c'est le mal, c'est la mort." Avec Léon Daudet, Maurras fonde en 1908 "l'Action Française" et s'attire les faveurs de tous les penseurs de l'extrême-droite française. En vérité, le talent littéraire et journalistique de ces deux réactionnaires a plus éloigné par sa virulence les sympathisants, qu'ils ne les a rapprochés. Aussi, l'emprise maurassienne se trouva t-elle réduite en Occitanie à la partie orientale du Languedoc avec un centre de force à Marseille. Dans le département de l'Aude, l'influence de Maurras fut bien ancrée dans les vieilles familles de propriétaires vignerons. En 1937, le journaliste sera même reçu à la table d'un comte - Président local de l'Action Française - dans un très beau château près de Carcassonne. Cette influence se retrouvait dans l'admiration que tous portèrent à Frédéric Mistral. L'idéologue du "nationalisme intégral" vouait un culte au félibre majoral et écrivit lui-même en languedocien. Lorsque le maréchal Pétain adressa son message à la veuve Mistral qui vivait retirée à Maillane, Maurras écrivit dans le Petit Marseillais : "Or, je vous prie de me dire si un seul chef d'état français a pris garde à cette haute vertu du mistralisme." Dans un autre texte de Maurras, on lit ceci : "La France réduite à l'Occitanie est placée sous le patronage lumineux... de notre Mistral".

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Le gouvernement de Vichy tentera d'ailleurs, à travers deux lois en 41 et 42, d’introduire pour la première fois l'enseignement des langues régionales à l'école (Breton et Occitan). Pétain entérina une recomposition territoriale régionale par la publication du décret du 30 juin 1941 attribuant à certains préfets les pouvoirs des préfets régionaux et portant division du territoire pour l'exercice de ces pouvoirs portant application de la loi du 19 avril 1941 réorganisant certaines anciennes provinces de France en groupant des départements entre eux. Toute cette politique sera source d'espoirs pour les occitanistes réclamant davantage d'autonomie. Elle sera désavouée à la Libération par le gouvernement provisoire de la République.

"La population du Midi ne constatait pas sans quelque satisfaction que les limites de France "non occupée" coïncidaient avec celle de son propre domaine. En tout cas, quiconque a séjourné en "zone non-occupée", ne fût-ce que quelques semaines, n'a pas pu ne pas être frappé par la fierté qu'éprouvaient les méridionaux à l'idée qu'ils constituaient à eux seuls ou presque, la France inviolée et, à l'idée que le gouvernement se trouvait désormais en Auvergne et non à Paris." (Paul Sérant / La France des minorités)

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Osmin Nogué (1865-1942), avocat et chansonnier

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Osmin Nogué naît à Carcassonne le 6 novembre 1865 d'un père, employé aux lignes télégraphiques, originaire de Tarbes. L'intelligence du jeune Nogué se fait très vite remarquer de ses professeurs, notamment au lycée de garçons de la ville où il se distingue comme un brillant élève. Après ses études de droit et un exil momentané à Paris, l'avocat revient à Carcassonne et s'installe 59, boulevard du musée. C'est aujourd'hui, le boulevard Camille Pelletan.

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Osmin Nogué

Nogué se rapproche des milieux radicaux-socialistes et épouse le 2 octobre 1894, la fille du maire de Carcassonne Omer Sarraut. De cette union avec Jeanne Sarraut (1876-1963), naîtront trois enfants : Cécile Nogué (1895-1981), Yvonne Nogué (1899-1909) et Maurice Nogué (1904-1994). Le grand malheur du couple sera la perte tragique et brutale de leur fille Yvonne, décédée à l'âge de dix ans d'une phlébite orbitaire.

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Osmin Nogué en représentation théâtrale

L'avocat participe à la vie de nombreuses associations culturelles... Dans la Compagnie d'Art dramatique l'Athénée, il est au Comité d'honneur. A la Société d'Etudes Scientifiques de l'Aude, il est membre depuis juillet 1897 grâce à Marius Robert et Jean Philibert. Son action humanitaire se fait remarquer au sein de la Commission des hospices, où chacun loue les bienfaits de Monsieur le Vice-Président.

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Cet homme, oublié de nos jours, restera bâtonnier au Tribunal de 1er instance de Carcassonne de 1908 à 1909 et de 1935 à 1936. Quatre mandats au cours desquels, il s'assura le respect de l'ensemble de ses confrères. Lorsque l'on a une telle position dans la vie sociale et civile, on peut qu'être attirer par la politique surtout avec de fortes idées républicaines. Adversaire résolu de Gaston Faucilhon, adjoint de Sauzède puis maire de Carcassonne, Nogué fait entendre sa voix comme conseiller municipal. En vérité c'est politiquement un sympathisant du radicalisme, incarné par les Sarraut. Il dirige même à Carcassonne "La dépêche de Toulouse" et représente le syndicat des journalistes.

En 1924, son beau-frère Maurice Sarraut lui fait obtenir la légion d'honneur ; il sera élevé au grade d'officier en 1938 et choisira son confrère Henri Malric pour sa réception. Osmin Nogué restera tout de même neuf années de 1919 à 1928, conseiller général du canton ouest. Ne souhaitant pas se représenter devant les électeurs, Albert Tomey prendra son siège en 1928.

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Sous le pseudonyme de Jacques Aubin, Nogué fait publier en 1922 sous la forme de chroniques de la société Carcassonnaise, un livre imprimé chez Gabelle. Les illustrations sont du caricaturiste Dantoine et le texte est assez savoureux. Il dépeint les méandres d'une ville à l'hygiène douteuse et aux mœurs incarnées par des personnages d'une exaltante typicité.

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La prieuvre

Quand sur le boulevard le noble Barreau passe,

Serviette sous le bras et le front soucieux,

Il ne se doute pas qu'il est suivi des yeux

Par un monstre tapi dans son antre rapace

Le Fisc sombre pieuvre à l'appétit puissant,

Le Fisc aux mille bras tapissés de ventouses

Dont les hydres de mer se montreraient jalouses, 

Le guette pour l'étreindre et lui sucer le sang.

 

Barreau te reposant sur d'anciens privilèges,

Tu te croyais naïf, protégé contre lui,

Tu vivais sans soucis, mais qui peut aujourd'hui

Du succube goulu fuir traquenards et pièges ?

Barreau, plein de savoir mais de candeur pétri,

Tu tombes à ton tour dans les filets perfides

De l'odieux calmar aux suçoirs myriafides

Et te voici couché, pâle et le front meurtri !

 

Mengué, le rabatteur du monstre enflé de lucre,

T'a poussé doucement vers le gouffre profond

Où notre humanité se liquéfie et fond,

Comme un café brûlant voit fondre un grain de sucre.

Aspirés par la bouche avide de l'impôt

Tu vois tes fiers enfants, infortunés confrères,

Dans la poche du fisc verser leurs honoraires,

Pauvres, exsangues, nus, les os trouant la peau.

 

Mais tout ceci n'est qu'une image

Rien qu'une image en vérité,

Vite à présent tournons la page

Et voyons la réalité.

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La tombe de la famille Nogué, cimetière St-Vincent

 

Sources

Recherches, synthèse et rédaction / Martial Andrieu

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Francis Vals (1910-1974), un vrai socialiste au service de l'intérêt des modestes

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C'est dans ce pays de littoral audois baigné par le soleil et très souvent balayé par le vent marin, que naît Francis Vals ce 9 novembre 1910 à Leucate. La terre qu'en d'autres régions de France on a coutume de qualifier de nourricière, ici n'est tout juste bonne qu'à faire pousser la vigne, entre le chiendent et le chardon. Les gens vivent de peu de choses ; femmes et enfants "rasclan la terra". Quand le chef de famille casse sa pipe avant l'heure, un sort terrible s'abat sur l'ensemble du foyer laissant totalement démunies ces pauvres mères, aux mains déjà meurtries. Quand elles les ouvrent c'est pour embrasser avec cœur, pas pour présenter avec ostentation l'argent que d'autres conservent entre leurs doigts. Ces gros propriétaires viticoles ou négociants attablés les jours de foire devant le café du commerce, sur les quais de la Robine. Que seraient-ils ces messieurs, sans les pauvres familles qu'ils exploitent et auxquelles ils font parfois de très charitables attentions ? Compromis à trahir la patrie sous l'Occupation en faisant des affaires avec le Reich, pendant que les enfants de leurs ouvriers versaient le sang de la vigne dans les maquis ! Francis Vals l'enfant pauvre, orphelin de père, instituteur, résistant et député de la Nation. 

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Francis Vals

Malgré la perte de son père à l'âge de 12 ans, le jeune Vals poursuit ses études grâce au courage de sa mère. Après son Certificat d'études primaires, le cours complémentaire Cité à Narbonne, il entre à l'Ecole normale de Carcassonne et devient instituteur en 1929. Il obtient son premier poste dans une commune d'une centaine d'âmes, située au fin fond du département : Saint-Louis et Parahou. Après quoi, il sera envoyé successivement au Somail, Castanviels, Sigean et Leucate.

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F. Vals (à droite) à côté de Ponsaille, au R.C Narbonne

Francis Vals sera l'une des gloires sportives de Narbonne, deux fois finaliste du championnat de France 1933 et 1934 avec le Racing Club Narbonnais. En 1936, il marque l'un des deux essais de la finale contre Montferrand. Remarquable athlète, il jouait au poste de 3/4 aile et son punch dans les 22 mètres adverses, était aussi célèbre que le béret qu'il portait pendant la rencontre. 

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Francis Vals milite au sein de la S.F.I.O depuis 1927 et ses idées son progressistes. Lorsque le maréchal Pétain arrive au pouvoir en 1940, le gouvernement de Vichy fait la chasse à tous ceux qui s'opposent à sa politique. L'instituteur Vals est déplacé d'office, comme beaucoup d'autres enseignants dont Georges Guille dont nous reparlerons. Il se retrouve à Villeneuve-lès-Montréal dans le Lauragais, ce qui lui permet tout de même de mener une activité résistante, comme chef du Mouvement de Libération Nationale. Pour l'anecdote, Jean Bringer se rendait avant son arrestation à une réunion où l'attendait Francis Vals dans un café proche de la gare de Carcassonne. Dans les derniers mois précédent la Libération, Vals logeait dans la capitale audoise, 19 rue de Verdun. C'est là que s'organisa ensuite le Comité Départemental de Libération dont il sera le président dès septembre 1944. 

Antoine Courrière en 1974

Un coup de tonnerre dans un ciel serein, un immense vide, tout un passé qui disparaît. Francis est mort. Dans un pareil drame ce n'est pas la froide mécanique des dissertations qui l'emporte, c'est le langage du cœur, de l'amitié et de l'affection. Qu'était Francis ? Trop compliqué pour le dire dans un moment d'intense désarroi. C'est l'être le plus aimable, le plus accueillant, le lutteur de tous les instants, l'homme de parti, le combattant de la Résistance, le conseiller aimé et estimé de tout ce que le Narbonnais viticole qu'il a tant défendu avec acharnement, connaissait bien. C'était le fonceur, le lutteur qui ne desserrait pas sa prise. c'était l'homme de l'essai victorieux de la grande finale du Racing. C'était celui qui dans la Résistance bravait l'adversaire et le combattait sans merci.

Je garderai le souvenir de cette journée du 18 août 1944 commencée avec Lucien Milhau "Chez Louis", au "Café du Commerce", poursuivie au restaurant la "Grillade"à Carcassonne. Pourquoi "La grillade" ? Parce que bien des membres de la Gestapo y mangeaient et qu'il voulait les narguer. Entourés de vert-de-gris, placés sous les tableaux d'Hitler et de Gœring, fusillés du regard par des hommes inquiets qui se demandaient qui nous étions. Vals était calme et placide. Il était heureux. L'après-midi il allait donner son congé au préfet de Pétain. Le soir c'était Baudrigues et le lendemain Carcassonne. 

Il était pour moi fidèle dans ses affections. Je le lui rendais bien. C'est un être irremplaçable qui disparaît. C'est une perte immense pour moi-même et pour le parti. c'est sa veuve et sa fille un vide irréparable. c'est pour nous tous la consternation et le deuil.

Abbé Albert Gau

J'ai rarement approché un homme d'une loyauté et d'une intégrité aussi parfaites. Il n'était pas baptisé, je suis prêtre, mais rien ne nous a séparés depuis la Résistance, tellement il défendait avec conviction son idéal au service de toutes les victimes de l'injustice sans distinction de partis. Sa façon parfois rude de défendre la vérité et le droit cachait une immense bonté et une grande compréhension des autres. Je l'ai particulièrement admiré sur ce point. Je ne connais guère de personnes qui aient pardonné avec autant de générosité ceux-là même qui avaient trahi son amitié. L'avènement d'un socialisme adapté au tempérament français espérance : il le voyait venir lentement à travers des crises et des combats difficiles. Il était taillé pour ces combats parce qu'il portait en lui toutes les espérances des masses populaires.

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© Assemblée nationale

 En plaçant Georges Guille au sein du Comité de Libération, Vals prépare la prise du pouvoir politique des socialistes dans l'Aude au détriment des Radicaux, compromis avec Vichy. Là où la S.F.I.O ne détenait que trois cantons en 1936, elle en empoche presque la totalité aux élections de 1945. C'est l'œuvre de Guille avec sa propagande, ses réunions et ses jeunes militants. Vals devient Conseil général de Sigean, élu avec 44,3% des voix au premier tour et prend la présidence de l'assemblée départementale entre 1949 et 1951. Il cède ensuite sa place à Guille lorsqu'il devient député de l'Aude après avoir fait campagne avec lui sur les thématiques de l'anti-communisme : "La République est en danger", "Le Communisme stalinien fait la guerre à la démocratie". Parmi les prises de positions à l'Assemblée nationale, il y a en 1955 le refus de l'instauration de l'état d'urgence pour régler le problème algérien. Il ratifie le traité de Rome en juillet 1957 fondant la future C.E.E. Le 13 mai 1958, il soutient le gouvernement Pfimlin et refuse avec 46 autres socialistes d'investir de Gaulle et de lui accorder les pleins pouvoirs. La même année, l'instituteur de Leucate entre au parlement européen et préside le groupe socialiste au sein de la commission agriculture, développement et coopération.

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Francis Vals restera maire de Narbonne de 1959 à 1971. Il est battu par une liste "apolitique" conduite par Hubert Mouly, de 354 voix seulement.

"Dans la salle de la mairie, Francis Vals, la maire socialiste sortant, eut néanmoins le courage et l'infinie fierté de monter avec classse sur une table pour annoncer lui-même sa défaite. Sitôt redescendu de son triste pavois, écoeuré, il enjoignit son chauffeur Arino de le reconduire à la maison. Hélas, celui-ci, en bon fonctionnaire, était déjà depuis quelques minutes le chauffeur d'Hubert Mouly ! Francis Vals rentra donc à pied...Les hommes politiques sont si humains quand ils tombent. (Extrait de "Si je vous disais tout" / J-L Soulié)

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Le 27 juin 1974, Francis Vals succombe à une crise cardiaque dans sa chambre d'hôtel au Luxembourg. Il était en séance plénière de l'Assemblée des neuf. Sa dépouille mortelle sera rapatriée par un DC 3 à l'aéroport de Perpignan avant d'être inhumée dans son village de Leucate. A Narbonne, un gymnase porte son nom en mémoire de son passé sportif. A Port-la-Nouvelle, le Centre hospitalier. Enfin, à Leucate, une avenue se souvient de l'enfant de la commune. Grâce au fonds d'archives qu'il a légué aux Archives départementales de l'Aude, nous pouvons étudier les dossiers de la Libération de l'Aude.

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Les commerces de la place Carnot en 1904 et aujourd'hui

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Aujourd'hui tout le monde se presse afin d'acquérir un local commercial sur la place Carnot, dans le but de le transformer en café ou en restaurant. Dans quelques années, on peut légitiment penser qu'il n'y aura que cela ; déjà se pose le problème de l'emplacement des terrasses. Les commerces de détail migrent vers la périphérie, les habitants et les administrations également. La Bastide ne sera t-elle qu'un lieu touristique l'été, essentiellement concentré autour de cette place ? Il faut peut-être se préparer à ce changement total des habitudes de consommations. En un peu plus de cent ans, le paysage des échoppes et surtout leur diversité s'est largement modifié. C'est ce que nous voulons démontrer avec ce retour en arrière... Adieu les bouchers, charcutiers, épiciers, droguistes, chapeliers, chemisiers. Les agences bancaires leur emboitent déjà le pas.

Le comptoir National d'Escompte

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A l'angle de la rue de la gare et de la place Carnot, c'est aujourd'hui l'agence du Crédit Lyonnais. 

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J. Chrestia, bijouterie

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C'est la même famille que celle de Vincent Millet, dont le magasin d'horlogerie était situé juste à côté. Il semble que l'immeuble a été refait depuis ; il accueille actuellement le chocolatier Thuries.

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Il prend l'emplacement des anciennes deux boutiques 

Négre (Boucher) et A. Vidal (Charcutier)

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Aujourd'hui, le Bastid'Café et l'ancien Top Annonces

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Lordat-Cassignol, magasin de nouveautés

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Aujourd'hui, magasin New-Man

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Au bon marché

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Le bistrot Florian

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Almayrac-Canavy, vêtements

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Le café "Le longchamp" et les nougats Bor

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Boucherie Camelière

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Aujourd'hui, Tabou

Paris-Carcassonne, nouveautés

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Carrefour-market

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Séverac, lingerie

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Bleu-marine

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Selva, chapelier

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Café-restaurant "Le Saint-Roch"

Raynaud (Papiers peints) et Izard (Imprimeur)

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L'imprimerie commerciale Izard-Puel avait été fondée en 1829. C'est aujourd'hui le Picnic Café

Le Comptoir National

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Il s'agissait du café Béteille passant ensuite à la famille Sarta. Aujourd'hui, c'est toujours un café "le Carnot"

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Henri Mancini, Chapelier 

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Le café "Chez Félix" depuis 1948

Pharmacie Osmin Sarcos

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Le Café Julien Not

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Aujourd'hui, l'agence du Crédit Agricole

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Cordonnerie Bellan

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Angle de la rue de la gare et place Carnot. Aujourd'hui, agence de la B.N.P 

La Société Générale 

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A-G Olivet, chemisier

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Aujourd'hui, John's club

Eugène Blain, Chapelier

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Aujourd'hui, café "Le petit Moka"

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Salles, librairie

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Aujourd'hui, Briocherie Arpin

Arnal, droguerie

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Aujourd'hui, la pharmacie Carnot

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Frayssinet, chemiserie

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Aujourd'hui, parfumerie Beauty Success

Sources

Photos et recherches / Martial Andrieu

Google maps

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Le pilier de Gougens : Un instrument historique national laissé à l'abandon à Carcassonne

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Avant la Révolution française, l'ensemble des mesures de surface, de capacité et de pesanteur variaient d'une province et parfois même d'une agglomération à l'autre. L'esprit nouveau de 1789 poussa son désir d'égalité jusqu'à faire adopter des mesures fixes qui deviendront plus tard universelles. Ainsi naquit le système décimal. Après Cassini, Delambre et Méchain reçurent pour mission de mesurer l'axe du méridien terrestre de Dunkerque à Barcelone. Cette mensuration sera ensuite reprise par Biot et Arago qui la continuèrent jusqu'à l'île de Formentera aux Baléares. A chaque fois, ces savants triangulèrent dans l'Aude, car le méridien de Paris passait dans Carcassonne. Cette ligne idéale se trouve exactement à 1111 mètres à l'Ouest de la tour de l'église Saint-Vincent. Une jonction géodésique franchissant le Pas-de-Calais permettait d'y relier la Méridienne anglaise avec les iles Shetland.

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Le pilier de Gougens en 1977

Au point d'intersection de la méridienne avec la perpendiculaire menant à St-Vincent, une pierre fut posée dans un champ appartenant à M. Delpons. On proposa alors d'inscrire à cet endroit "Point d'intersection du méridien de Paris avec la parallèle à l'Equateur passant par la station de Saint-Vincent. Posé par Méchain en 1802." Le 7 août 1859, M. Méchain tenta d'obtenir des fonds auprès du préfet. Le temps passa, de nouvelles voies et construction s'élevèrent où se trouvent la pierre. En 1975, lors de travaux d'agrandissement de la maison du 55 rue Rodin, la pierre a disparu.

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Distances entre les méridiens de Paris (Rte de Toulouse et rte de Montréal), l'église Saint-Vincent et la pierre géodésique, 55 rue Rodin.

Dans un premier temps, on renonça au clocher de Saint-Vincent pour supporter l'échafaudage devant surélever l'instrument de géodésie (Théodolite) ; ceci afin de découvrir le sommet de l'Alaric caché par la tourelle latérale. On préféra l'installer là où Villarceau viendra en 1864 pour déterminer l'azimut de Fanjeaux. Afin de rattacher à la nouvelle méridienne la station de Méchain, une tige en fer de 1,20 mètres est fixée verticalement au centre de la dalle supérieure de la terrasse de Saint-Vincent. La distance de cette tige au pilier de Gougens (ancienne paroisse de Carcassonne) est de 858,05 mètres. Villarceau fait des observations depuis le pilier de Gougens et le clocher de Saint-Vincent où sont installés des appareils de visée. D'en-haut le savant avait dit-il "la plus grande difficulté à maintenir l'œil à la lunette et aux loupes des verniers".

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Le clocher de l'église Saint-Vincent 

En 1902, cette tige disparut suite à la réfection de la terrasse. Son rôle était très important car cette tour servait à déterminer la distance entre Dunkerque et Carcassonne. Surtout, c'est grâce au pilier de Gougens que fut réalisée la première carte d'état-major au monde. C'est aussi d'après la longueur de l'axe du méridien de Dunkerque à Carcassonne que le rayon de la terre put être évalué par la commission qui a établi le système métrique. En 1872, on reprit les opérations avec des instruments plus précis. Le capitaine, directeur du service géographique de l'armée, se servit du pilier de Gougens. Il sera surélevé par le capitaine de Paisy afin de viser l'Alaric, masqué par des murs de clôtures et une plaque en bronze (disparue) y sera posée par le service de l'armée.

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Le pilier de Gougens au bout de l'impasse Frédéric Soulié en 1977.

Devenu progressivement inutile en raison des immeubles construits autour, le pilier de Gougens se vit affublé d'une colonne de brique. En 1940, il n'en restait que des débris. La Société des Arts et des Sciences, la Société d'études scientifiques de l'Aude et l'Association des Amis de la Ville et de la Cité s'accordèrent pour demander une restauration du pilier en 1977.

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Distance de 858,05 mètres mesurée depuis l'église St-Vincent

Malgré les promesses et une étude de l'architecte Henri Jaulin, rien ne se fit du côté des pouvoirs publics. Aujourd'hui, ce pilier est complètement oublié tant dans sa situation, que dans son utilité passée. Les inscriptions gravées s'effacent et bientôt il n'en restera plus qu'un cube de gré sans âme.

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Le pilier de Gougens aujourd'hui se trouve inséré dans la résidence Saint-Michel II, construite en 1981 dans la rue René Cassin.

Sources

Annales de l'Observatoire impérial de Paris / 1868

Bull. SESA Tome XVI / 1905

Henri Alaux / ADA 11

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Carcassonne c'est plein Sud, et pas dans le Sud-Ouest ! La preuve...

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Dans l'article précédent, nous avons évoqué l'abandon du pilier de Gougens qui servit en 1864 de point d'appui à Villarceau pour effectuer ses mesures depuis la tour de l'église Saint-Vincent. Bien avant lui, Jean-Dominique Cassini (1625-1712) avait en 1701 fait des observations à Carcassonne afin d'établir le passage du méridien. Peu de temps après, on fit ériger une croix dite de Cassini à l'angle Ouest de la place Davilla sensée symboliser la passage du méridien à cet endroit. Cette croix était située au niveau de l'horloge de l'actuelle place. Au début du XXe siècle, à la suite de querelles sur la laïcité, elle fut placée dans l'ancien couvent des sœurs Marie Auxillaitrice. Quand le bâtiment fut vendu puis rasé en 1971, la croix fut accueillie derrière le chevet de la cathédrale Saint-Michel où elle se trouve toujours. Le passage du Méridien  sur la place Davilla se révéla être une erreur, corrigée par Jacques Cassini fils. Il le mit à sa bonne place, à 1111 mètres de la tour Saint-Vincent. En 1806, le préfet Trouvé fit ériger à cet endroit une espèce de pyramide en pierre matérialisant cette ligne imaginaire ; c'est très exactement dans le jardin du n°55 de la rue Rodin. La pierre disparut vers 1975 avec de nouveaux aménagements. Un peu plus tard, deux bornes du Méridien de Paris firent leur apparition sur la route de Toulouse (avenue Roosevelt) et la route de Montréal (Avenue Henri Gout).

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© Villemur.fr

Lors du passage à l'an 2000, le Minitère de la culture fut chargé des festivités. Pour le bicentenaire du mètre et en référence aux travaux de Méchain sur le Méridien de Paris, la Méridienne verte sorti de l'esprit de l'architecte Paul Chemenov. On décida de planter 10 000 arbres le long de cette ligne imaginaire allant de Dunkerque à Prats-de-Mollo en Catalogne française. Le 25 novembre 1998, neuf premiers arbres furent plantés à Saint-Martin du Tertre. Les festivités du 14 juillet 2000 célébrèrent l'avènement de la Méridienne verte, traversant 337 communes, 20 départements et 8 régions, soit 1200 km.

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© Martial Andrieu

Passage de la Méridienne verte à Carcassonne sur le tracé du Méridien de Paris

Panneau de la Méridienne verte sur la rocade Ouest

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A hauteur du domaine de Cucurnis

Borne du Méridien de Paris (Rte de Toulouse)

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Devant l'ancienne station service, elle a été déplacée de 20 mètres

Borne de la Méridienne verte

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Avenue Charles Lespinasse vers le bois de Serres, en bordure du Canal du midi. 

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Cette plaque est identique dans toute la France, à toutes les villes traversées par la Méridienne verte de l'an 2000.

Borne du Méridien de Paris (Rte de Montréal)

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Devant l'ancienne caserne de la Justice, actuellement parc au matériel municipal. Plus au sud, sur l'autoroute A61, un panneau identique à celui de rocade marque le passage de la Méridienne verte.

Voilà qui devrait, nous l'espérons, clouer le bec à tous ceux que l'on entend situer Carcassonne dans le Sud-Ouest. En entendant, vous qui passez sur blog, laissez-y de temps en temps un petit mot. Cela encourage celui qui prend du temps pour rédiger ces articles. Merci

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Qui était Paul Didier (1889-1961) dont une rue porte le nom à Carcassonne ?

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La famille Didier avait quitté sa Lorraine natale en 1871 refusant l'annexion de celle-ci à l'Empire Allemand, après la défaite de Napoléon III. Elle émigrait alors dans l'Aude où l'un de ses fils, se mariait à Moux avec la fille de Ferdinand Théron (1834-1911), député de la 2e circonscription du département. Elu Radical-Socialiste de 1871 à 1905, le beau-père s'était distingué par son opposition au Second Empire. Son gendre, élève à l'Ecole Normale Supérieure - docteur en science et agrégé de chimie - n'en fut pas moins contestataire, à tel point qu'on lui refusera l'accès à Saint-Cyr pour motif politique.

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Paul Didier en 1911

C'est dans ce creuset très républicain que naît Paul Didier, le 15 novembre 1889 à Carcassonne. Après de brillantes études secondaires au lycée de la ville, le jeune Didier fait ses études de droit et devient Rédacteur principal au Ministère de la Justice. En 1911, il s'inscrit au barreau de Paris puis est mobilisé en 1914 eu sein du 112e régiment d'infanterie. Un an après l'armistice de 1918, le concours de la magistrature en poche, Paul Didier est affecté au tribunal de Béziers. Il n'y restera que deux ans avant d'entrer à la Chancellerie en 1922 ; il réside à Paris au n°5 rue de la santé.

Le cycliste

Ce que l'on sait moins et que nous avons pour ainsi dire découvert, c'est que Paul Didier fut un champion du cyclisme sur piste. L'Agence de photographies Rol publia ses exploits que la Bibliothèque Nationale de France conserve précieusement dans ses tiroirs. 

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Paul Didier vainqueur du Prix Fournier le 13 février 1910

Le magistrat possédait en dehors des prétoires une activité sportive, parmi les plus en vue de l'époque. Un véritable pistard, champion des vélodromes parisiens. 

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Au départ (à gauche) sur le vélodrome du Parc des Princes, le 27 mai 1912

La carrière sportive de Paul Didier s'achèvera vers 1926. En 1921, il participait encore au Championnat de vitesse sur piste en finissant 1er de la 4e série. Cet homme constitué d'un esprit sain dans un corps sain possédait toutes les qualités de la sagesse au service des valeurs pour lesquelles il ne transigea jamais. Nous le verrons par la suite...

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Paul Didier à la fin de sa carrière sportive 

Le magistrat

Quelques semaines seulement après l'entrée en fonction du gouvernement de Vichy, le magistrat - passé sous-directeur du sceau chargé des naturalisations -s'oppose aux mesures xénophobes de l'Etat Français.  Il est écarté le 22 septembre 1940 et mis dans un placard. L'acte constitutionnel du 14 août 1941 obligeant tout magistrat à prêter serment de fidélité à Pétain, Paul Didier s'y refusera en raison de ses convictions républicaines. Il est seul frondeur parmi l'ensemble des magistrats. D'abord suspendu en guise de sanction, il est ensuite arrêté sur ordre du ministre de l'intérieur et enfermé au camp d'internement de Châteaubriant (Loire-Atlantique). Libéré en 1942, il est assigné à résidence à Moux (Aude) puis mis à la retraite d'office le 11 août 1942.

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Paul Didier avec sa robe d'hermine

Le Résistant

A Moux, le magistrat ne reste pas inactif et participe aux actions des réseaux de Résistance de Lézignan. A la Libération, le Comité départemental de Libération le nommé Vice-président du Conseil municipal de Moux. Un honneur pour ce village qui ferait bien de s'en souvenir... 

"Telle une ombre légère, furtive, le Président Didier passe. Long, mince, pâle jusqu'à la quasi transparence... Pour le définir, on en appelle au doux Pascal : "L'homme n'est qu'un roseau..." Le Président est courageux comme un autre est turbulent ou vulgaire. C'est une question  de tempérament. Son courage, toujours présent, fait partie de sa structure. Il est cela, indispensablement, comme est indispensable la respiration à l'être vivant. Indépendant par respect de soi-même. Par dignité aussi. Qu'une pointe d'orgueil se mêle à cette disposition d'esprit, c'est vraisemblable. Mais c'est de l'orgueil de qualité.

Il eut à subir, voici quelques mois, la conséquence de son indépendance : une bombe fut déposée devant son logis et éclata. Le miracle est que, si l'appartement fut détruit, sa famille sortit indemne de l'attentat. Il présidait une audience quand on vint l'informer de l'évènement. Il suspendit les débats et revint quelques minutes plus tard : "Messieurs, une bombe vient d'éclater à mon domicile. Excusez-moi de vous avoir interrompus. L'audience est reprise."

(Madeleine Jacob / Libération / 20 octobre 1952)

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Paul Didier meurt à Paris le 22 mai 1961. Voici ci-dessous un extrait de l'hommage funèbre de l'Avocat général Lambert à l'audience solennelle de la Cour d'appel de Paris le 16 septembre 1961.

"Et maintenant, messieurs, nous devons nous recueillir avec une ferveur particulière, car nous allons évoquer la mémoire d'un magistrat qui fut, comme naguère un écrivain célèbre, "un monument de la conscience humaine".

Septembre 1941 ! Il y a vingt ans ! Notre pays était au fond de l'abîme. La presse de Paris, contrôlée par l'ennemi, annonçait ce jour-là que, sur une place de notre capitale, une musique militaire (dont point n'est besoin de préciser la nationalité) jouerait un hymne à la gloire de la Germanie victorieuse. Mais dans cette atmosphère, dans ce climat, ces mêmes feuilles ne pouvaient cependant pas dissimuler que, la veille, venait de s'accomplir un des hauts faits de l'histoire de la magistrature française : le Président Paul Didier, à cette juge au Tribunal de la Seine, avait refusé le serment imposé par "L'Ordre nouveau". Le lendemain, il était arrêté et devait être bientôt dirigé sur ce camp d'internement de Châteaubriant qui a laissé de si dramatiques souvenirs.

Peu de temps avant la rentrée judiciaire de 1941, les juristes de la Résistance, avertis de la prochaine obligation du serment, avaient sollicité les instructions de ceux qui dirigeaient la lutte clandestine. Devait-on répondre par des démissions massives ? Laisser se démasquer ceux qui étaient déjà engagés dans l'action secrète contre l'occupant ? "Gardez-vous en bien, fut-il répondu, mais il serait bon, néanmoins, que l'un de vous assumât cette forme de résistance ouverte." C'est alors que Paul Didier décida que, s'il devait n'y en avoir qu'un, "il serait celui-là".

Messieurs, le souvenir du Président Didier nous a conduit à rappeler une des périodes les plus sombres de notre histoire, mais qui fut fertile en actes de courage et d'abnégation. Le geste de Paul Didier fut l'un d'eux."

La promotion 1987 de l'Ecole de la magistrature porte le nom de Paul Didier. Il repose au cimetière de Moux dans l'Aude depuis 1961.

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© Jacques Blanco

Une rue qui finit en impasse porte le nom de ce magistrat dans le quartier du Méridien. Tout un symbole chez nous... Nous remercions Jacques Blanco de nous avoir signalé cette rue, ce qui a permis d'établir une relation avec la photographie d'un cycliste que nous possédions.

Sources

Recherches et Synthèse / Martial Andrieu

Bibliothèque Nationale de France

La Résistance audoise / Lucien Maury

Recensement militaire / ADA 11

Le blog de P. Poisson

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Galy, chausseur haut de gamme à Carcassonne depuis 1929

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Chez les Galy on n'arrive plus à tenir le compte des générations de sabotiers, cordonniers et finalement chausseurs qui se sont succédé. C'est en 1929 qu'Octave Galy (1893-1960) ouvre sa première boutique avec son épouse Marguerite Audouy (1894-1967) au n°3 de la rue Voltaire. Précisément, en face de l'ancienne clinique du docteur Delteil ; aujourd'hui, Maison de retraite Montmorency. Bien avant lui, son beau père Auguste Audouy, cordonnier de son état, tenait un atelier dans la Grand rue (Actuelle, rue de Verdun) puis 75 rue Aimé Ramond. Et si l'on remonte encore plus loin dans le temps, on trouve des ascendants comme sabotiers à Quillan et à Puivert. 

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Actuel magasin de chaussures Galy, rue Clémenceau

Auguste Audouy fournissait les chaussures des deux lycées de la ville. Les brodequins noirs en cuir qui allaient avec la casquette à galon doré. Il possédait 14 employés qui étaient tous logés et blanchis, mais devaient fabriquer chacun une paire de chaussures par jour.

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Cordonnerie Audouy, 75 rue A. Ramond

C'est dans cet univers que son petit-fils Georges Galy est entré un 13 juillet 1935. Son BEPC en poche, mais ne voulant plus aller à l'école, il s'imaginait être vendeur. Or, dès le début des vacances d'été son père Octave le mit à fabriquer des chaussures : "Avant de vendre, il faut savoir comment elles sont fabriquées, lui dit-il". Alors avec le regret de ne pas avoir attendu la fin de l'été pour se signaler, Georges Galy commença à travailler. A 17 ans, il faisait croire aux filles qu'il exerçait le métier de comptable.

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William Galy en 1979 dans la rue Courtejaire

Neuf ans après la mort de son père en 1969, Georges quitta la rue Voltaire pour s'installer dans la rue Courtejaire, dans les locaux de l'ancienne bijouterie Galibert. Voilà donc le grand magasin que tous les Carcassonnais ont connu avec son millier de boites à chaussures bien en évidence : Paraboot, Méphisto, etc. Avec Willian, son fils, le patriarche veillait sur l'affaire avec son tempérament un tantinet bougon. Georges est aujourd'hui décédé, mais nous avons retrouvé quelques anecdotes savoureuses qu'il aimait à raconter :

"La plus ancienne remonte à 1937, je crois. Cette année-là, la mode était aux chaussures vertes. Je me souviens qu'un jour, une cliente difficile cherchait un vert particulier. "Quel genre de vert, à la fin, voulez-vous ?", lui demanda mon père, plutôt exacerbé. "Je voulais un vert... huitre", lui répondit la dame. Et du tac au tac, mon père lui demanda : "D'accord, mais... des Marennes ou des Portugaises ?". Dans les expressions pittoresques, j'ai entendu des clients ou plutôt des clientes die que certaines chaussures leur faisait le "pied bête" ; d'autres, que les talons hauts leur faisait "les mollets comme un ventre de lapin". Un jour qu'une dame redoutait que les chaussures qu'elle essayait ne lui fassent des oignons, un vendeur lui rétorqua : "Ne craignez rien, madame, vos pieds n'ont rien d'un potager."

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© Chroniques de Carcassonne

Depuis quinzaine d'années, la boutique de la rue Clémenceau est fermée. Les chaussures Galy ont changé de lieu. D'abord, elle se sont installées dans le rue Victor Hugo. Willian Galy raconte à la presse en 2008 sa rue de la gare dans les années 60-70 :  

"Toute la jeunesse se retrouvait rue de la Gare. On s'y promenait, on faisait connaissance. Quand on organisait des surboums et qu'il manquait du monde, on y descendait : on était toujours sûr de rencontrer des copains pour les inviter. Le dimanche, la rue était noire de monde », témoigne M. Galy. C'était un temps rythmé par des bals de quartier. Les contours de la ville finissaient dans les champs, là où le Viguier a poussé, depuis, comme un champignon. "Une autre époque". De fait, on comptait au maximum une voiture par famille, et encore... « Alors que maintenant c'est une voiture par membre de la famille ! ». Et du coup, le problème du stationnement et de l'engorgement asphyxiant de la cité par les chars à quatre roues ne se posait pas, comme aujourd'hui. Mais comme le dit William Galy : "La mentalité, ici, c'est de râler. A Carcassonne, les gens veulent se garer dans le centre et quand ils vont faire leurs courses à Toulouse, ils ferment leur gueule et se garent à la périphérie et marchent !".

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Georges Galy

Enfin, depuis peu, la rue piétonne s'est ouverte à ce commerce parmi désormais l'un des plus anciens de la ville. Dans le domaine de la chaussures, c'est certain et même le dernier du genre à n'être pas franchisé.

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Le monument à la Résistance audoise, où il ne fallait pas trop voir Jean Bringer

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Le jour de la Libération de Carcassonne se fonde le Comité Jean Bringer avec pour mission d’honorer la mémoire de tous les martyrs de la Résistance audoise, dont Jean Bringer dit Myriel - chef départemental F.F.I - et ses camarades assassinés à Baudrigues le 19 août 1944. La présidence est confiée à Marcel Canaby - 75 allée d’Iéna - Inspecteur principal des eaux et forêts, administration dans laquelle Jean Bringer fut un agent très dévoué. Le général Kœnig lui avait donné à choisir entre un poste près de Draguignan ou dans notre ville. Il opta pour celle-ci en raison de sa proximité avec le lieu de résidence de son épouse situé au Bousquet d’Orb dans l’Hérault. Bringer prit donc cet emploi dans les eaux et forêts qui constituait une couverture pour ses actions de résistance. De son bureau du square Gambetta, le chef des F.F.I partait ainsi avec son vélomoteur en direction des forêts dans lesquelles séjournaient les maquis, sans que cela éveille des soupçons. Retenez bien qu’il n’a été arrêté le 29 juillet 1944 qu’à cause d’une trahison venant de son propre camp. Selon René Bach : « Il nous (La gestapo. NDLR) a été livré sur un plateau ». Quand on prend soin d’observer les noms des membres du Comité Bringer, on se rend compte de l’absence de certains chefs. Notamment Lucien Maury (Picaussel), Henri Négrail (Limoux), Victor Meyer (Maquis FTP Robert et Faïta), Gilbert de Chambrun, etc. Après tout n’est-ce peut-être que le hasard, ou ne les a t-on pas sollicités… Quoi qu’il en soit, la liste de ces membres répondent à certaines interrogations : Francis Vals, Nizet (Montolieu), Raynaud (Villeneuve-Minervois), Daraud (alias Bel), Barrière Paul (Espéraza), Duffaut (Logeur de Bringer), Graille Jean (Sous-préfet de Pamiers), Beauviel, Amiel Louis, Dr Cannac, Nicol Louis, Coumes André, Roubaud Lucien, Ct David (Espéraza), Ct Lajoux (Roquefeuil).

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Jean Bringer en uniforme

Dans les mois qui suivirent la Libération de l’Aude, lorsque les enquêtes furent ouvertes pour trouver les coupables de l’arrestation de Bringer, deux camps s’en rejetèrent la responsabilité. Louis Amiel, président du Comité Local de Libération et ancien adjoint de Bringer, en voulant exonérer Chiavacci (proche de Delteil) que les résistants de Limoux accusaient de trahison, les désigna comme étant les auteurs de cette machination. Notons que René Chiavacci fut incarcéré pendant plusieurs mois, fortement soupçonné d’avoir désigné Bringer à la Gestapo après les révélations de René Bach. Delteil et Amiel mettront toute leur énergie à tenter de le faire libérer. S’il nous est impossible pour l’instant de désigner un coupable, la guerre ouverte entre deux clans peut en être à l’origine… Ces maquis que Bringer devait unir depuis qu’il avait été récemment nommé chef des F.F.I, ne l’étaient sûrement pas. Lorsque leur ennemi commun se trouva à terre, les querelles politiques pour le pouvoir prirent force et vigueur. Sur ce point, notons que c’est le communiste Georges Morgulef qui remplaça Jean Bringer (Armée Secrète nommé par Londres) à la tête des FFI du département.

Durant l’été 1944, les Allemands avaient ordonné la destruction du square Gambetta car ils redoutaient qu’un débarquement sur les côtes méditerranéennes ne fassent entrer les alliés par la route de Narbonne. Ce magnifique jardin ainsi dévasté resta dans cet état avant que la mairie ne décide de le réhabiliter. L’architecte départemental Bourrely fut chargé d’étudier le nouveau visage que pourrait prendre ce square. De son côté, le Comité Bringer voulut faire réaliser un monument à la gloire des martyrs de la Résistance audoise avec Bringer comme icône. C’est le sculpteur et ancien résistant René Iché, né en 1897 à Sallèles d’Aude, que l’on approcha pour exécuter cette œuvre. Le statuaire s’était retiré à Paris où il possédait un atelier dans le Ve arrondissement, 56 rue du Cherche-Midi. Il s’engagea contractuellement le 8 octobre 1946 à « exécuter dans le plus bref délai possible, un monument de pierre dure de son choix, pour être placé sur le Square Gambetta, à Carcassonne. » Le sculpteur devra s’entendre avec M. Bourrely pour l’aménagement du monument au sein du jardin qui devra exprimer la vaillance héroïque. « Une partie de l’œuvre devra comporter une inscription et un portrait en bas-relief de Jean Bringer sans que cela nuise à l’unité de l’ensemble. » Il semble par ailleurs que la ville ait également sollicité Iché pour le square Chénier ; un projet qui ne se fera pas.

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Le square Gambetta en 1948

En janvier 1947, Iché s’inquiète des lenteurs d’aménagement de Gambetta alors même qu’on lui demande de réaliser son monument dans les plus brefs délais. Il propose qu’à défaut de square, on en pose la première pierre lors de l’inauguration de son œuvre. La principale problématique à laquelle va se heurter le sculpteur est le manque de matières premières et de matériel pour les acheminer. Ces atermoiements conjugués avec le retard pris dans le choix de la pierre vont avoir des conséquences sur les prix. Lé pénurie et la spéculation sur le franc entraînent une hausse des tarifs qui fait grimper en deux ans la note finale, suspendue aux subventions et à la souscription lancée par le Comité. Dans ce monde en reconstruction, le statuaire s’emploie à rechercher la meilleure pierre pour son œuvre tout en demandant des avances financières à un comité qui ne cesse de s’impatienter. Le 1er mai 1947, René Iché écrit au président Canaby qu’il compte utiliser un matériaux synthétique : « J’ai commencé il y a plus de dix ans au laboratoire des Travaux publics et du Bâtiment des essais de béton vibré en moules de plâtre qui m’ont donné d’intéressants résultats. Je suis resté en relations avec les meilleurs techniciens dans ces matières et je poursuis actuellement des recherches sur un agrégat que je continue à appeler béton mais qui n’a rien de commun avec ce matériau sinon qu’il est synthétique et non naturel. » En fait, Iché recherche la pierre la plus dure en s’inspirant du béton Romain. Meilleur que la pouzzolane, le ciment de laitier de haut-fourneau.
Le 21 juin 1947, Iché renonce à son expérience, envisage une œuvre en granit breton mais la carrière ne peut extraire un bloc de 7 mètres de haut. Il va se rendre dans le Finistère et demande 200 000 francs au Comité pour passer la commande. Si celui-ci loue la conscience professionnelle du sculpteur, il lui oppose sa conception du futur monument : « La multiplicité des symboles : lutteurs, arbre, maquisard, si elle satisfait l’artiste et le penseur, peut à beaucoup paraître obsédante, et être une cause de dispersion d’attention. De plus, on s’est demandé si de nombreux audois ne verraient pas, dans le maquisard comme dans le médaillon le chef Myriel… qu’ils n’ont pas connu et si le caractère du monument à tous les Résistants martyrs ne serait pas un peu estompé. »

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© ADA 11

Projet initial dans l'atelier de René Iché

"Certains collègues n'aiment pas le socle du monument. A leur sens, les lutteurs perchés sur un arbre ne donnent pas la sensation de vaillance héroïque, mais rappellent Tarzan".
Etrange revirement de ce Comité obligé de composer avec l’ensemble des donateurs. Jean Bringer pour lequel s’est constitué cette souscription, est trop en vue… A juste titre, Iché répond avec surprise : Lorsque vous me dites que vos compatriotes risquent de voir dans mon ouvrage un hommage trop exclusif au chef Myriel, je suis surpris, car, souvenez-vous en, notre thème au départ était bien celui-là. Le titre même de votre Comité en est la preuve et c’est moi qui ai jugé nécessaire et désiré étendre l’hommage à tous les résistants audois. » Concernant la pierre en granit, la carrière de celui de Kersanton est épuisée alors Iché réalisera le monument en roche calcaire du Châtillonnais.
On avait promis à René Iché le médaillon représentant Jean Bringer que détenait Madame Cannac, afin de le reproduire sur le monument. Il ne le recevra jamais et les époux Cannac iront s’installer à Antibes, avant que le docteur ne soit suicidé dans la clinique Delteil en septembre 1952. On n’a plus envie de faire représenter l’ancien chef des FFI et la recherche d’anonymat dans le portrait laisse penser que tous les résistants audois ne se reconnaissaient pas en lui. René Iché écrit à Canaby le 4 mai 1948 : « J’apprends avec surprise que le docteur et Mme Cannac ont quitté Carcassonne pour Antibes. Mme Cannac ne m’a pas adressé le modèle du médaillon qu’elle a modelé, sans doute parce que j’avais exprimé l’idée qu’il me faudrait donner au maquisard les traits de Jean Bringer. » Le sculpteur indique qu’il fera du maquisard une figure anonyme. Il ne gravera pas l’inscription sur cette face principale du monument mais à l’arrière de celui-ci. Tout un symbole, donc…

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© ADA 11

La maquette initiale vue de face


Au mois de janvier 1948, la pierre n’est toujours pas livrée et le comité émet encore des critiques sur une maquette qu’aucun des membres n’ira voir à Paris. Elle ne le sera qu’au mois de mai. ; Iché écrit que son œuvre sera livrée au mois d’août. L’aménagement du square Gambetta avance et la ville a renoncé à faire un jardin d’enfants, le monument à la Résistance - autorisé par décret du 21 avril 1948 - ne sera plus placé au centre mais dans un petit abri entouré d’un voile végétal.

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© ADA 11

Le monument peu de temps avant sa livraison

Le dimanche 22 août 1948, sous la présidence du général Zeller, le monument à la Résistance est inauguré en présence de nombreuses personnalités. Le rassemblement se fait d’abord sur la place de Gaulle à 9h45 avant un départ en voitures pour la clairière de Baudrigues. Une stèle en granit reçoit une gerbe de fleurs en hommage aux victimes. Il est remis à la veuve Bringer la légion d’honneur de son mari, à titre posthume. La cérémonie se poursuit au cimetière Saint-Michel, au Quai Riquet, à la cathédrale et au Temple. L’inauguration du monument a lieu dans l’après-midi.

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Le monument à la Résistance audoise en 2018

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Ce chef de gare de Carcassonne surnommé "Hitler"...

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Le 10 août 1942, les cheminots parisiens de la CGT appelaient à la grève générale contre l’Occupation Allemande. Pendant toute la durée de la Seconde guerre mondiale, des milliers d’entre-eux menèrent des actions individuelles afin de lutter contre l’ennemi. Certains mirent du sable dans les boîtes de roulement pour bloquer les moteurs, firent dérailler les trains, refusèrent de travailler. Au total, près de 9000 cheminots auront donné leur vie pour la libération de la France. Au fil des décennies, les liens avec ces tristes épisodes de l’histoire et leurs actes héroïques se sont estompés. Au bout de 75 ans, une forme d’ingratitude peut être même ressentie dans les rangs des anciens, quand ils voient leurs gouvernants supprimer un statut gagné de haute lutte.

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Image d'illustration

Bruno Ganz dans "La chute" / film de 2004

A Bram, le 10 août 1944 ce sont six wagons de marchandises qui se sont lourdement effondrés au milieu des flammes et de la poussière. Trois cheminots venaient de faire sauter la voie ferrée secouant dans un même laps de temps, l’ensemble de la gare. Ces fonctionnaires, membres du réseau Résistance-Fer, ne s’étaient pas trompés de cible. Le train de marchandises françaises acheminait de la nourriture réquisitionnée, pour l’amener en Allemagne. La politique de collaboration décrétée par Pétain, autorisant de tels transfert affamait toute la population française. Le journal vichyste « L’Eclair » condamnait l’attentat le lendemain dans ces colonnes, en ces termes : « Qui empêche les transports et l’arrivée des denrées alimentaires nécessaires dans notre région ? Les Anglo-Américains, par leurs bombardements incessants ; leurs alliés, les maquisards et les Résistants, par leurs vols, pillages, par la destruction des voies et des moyens de communication ou de transport ».

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© Musée de la Résistance en ligne

Après l’explosion, les voies ferrées et une partie de la gare étaient saccagées. Il fallut trois jours pour tout réparer. Un ancien cheminot se souvint : « Il y avait tellement de déchets que lorsqu’on en a renversé une partie par-dessus les remblais, on a enterré une vache et un char ! » Il poursuit son récit en évoquant le triste sort d’un ingénieur d’origine juive, qui travaillait à la gare de Carcassonne et qui a été déporté : « J’étais près de la voie et j’ai vu la Gestapo le prendre. Il s’est exclamé : « Je suis fier d’être juif ! J’étais près de lui. » 

A Carcassonne, chaque agent de la SNCF était doublé par un Allemand qui n’hésitait pas à dégainer pour un oui ou pour un non. Les soldats étaient énervés car les trains roulaient mal. Il n’y avait plus d’huile pour graisser et attacher les wagons. Au milieu de cette peur de travailler, le chef de gare était un Allemand. Les cheminots le surnommaient Hitler, à cause de sa moustache et de sa mèche de cheveux. La ressemblance s’arrêtait paraît-il là, car Hitler faisait de la résistance à sa façon : « Il changeait les étiquettes des trains de ravitaillement pour les empêcher de partir vers l’Allemagne. Grâce à lui, les Carcassonnais ont pu manger un peu plus pendant quelque temps. »

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Sur le quai de la gare de Carcassonne, une plaque un peu isolée rappelle le souvenir des cheminots victimes de la Seconde guerre mondiale.

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© Rail et Mémoire / Blog

René Dualé assassiné le 20 août 44 au Quai Riquet par les nazis

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Le monument funéraire du compositeur Jacques Charpentier à Carcassonne

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Il y a maintenant un an et presque deux mois, disparaissait le compositeur Jacques Charpentier (1933-2017). Cet homme d'une grande valeur intellectuelle et musicale avait choisi de résider à Carcassonne où il s'était établi au cours des années 1960. Au n°5 de la rue Trencavel, il composa la majeure partie de ses œuvres, dont son opéra en langue occitane : "Beatris de Planissolas". Délaissant l'infernale Cité médiévale et son flot de touristes, il avait pris pour asile un appartement situé à proximité de la place Carnot. C'est là qu'il finit ses jours après avoir consacré toute sa vie à la musique.

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Jacques Charpentier repose au cimetière "La conte"à Carcassonne (Carré 32B, Emplacement 152). Depuis quelques jours, un monument funéraire digne de ce qu'il fut, rappelle son souvenir. 

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Ce buste fut taillé par Robert Zilch de Reichestein alors que le musicien n'avait que dix-huit ans. Pour l'anecdote, le célèbre sculpteur et le père de Jacques Charpentier s'étaient trouvés ensemble dans un camp de prisonniers durant la Seconde guerre mondiale. L'artiste à qui l'on doit trois des quatorze médaillons de la Faculté de médecine de Paris, promit de faire le buste de Jacques, si son père et lui revenaient vivants d'Allemagne. Cette sculpture resta longtemps dans le jardin du n°5 de la rue Trencavel, mais aujourd'hui elle a trouvé sa juste place au-dessus de son modèle.

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© Christophe Guibbaud / ABACAPRESS

Jacques Charpentier devant le Palais Royal à Paris

Dans notre ville où l'on célèbre plus facilement la mémoire des joueurs de rugby que celle des musiciens,  espérons que le choix d'être inhumé à Carcassonne ne sera pas pour cette illustre personne, un enterrement de seconde classe pour sa musique. Le cas de Paul Lacombe est sur ce point assez éloquent...

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Aux victimes du maquis de Trassanel : Ce que l'on n'a pas encore écrit...

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La veille de la tragédie qui devait coûter la vie de 43 jeunes maquisards du maquis Armagnac, une quarantaine de soldats Allemands en armes se présentent au hameau de Lacombe. Il s’agit pour la majeure partie d’entre-eux d’un détachement du 71e régiment de l’air dit « de Lisieux » commandé par le capitaine Nordstern. Cet homme grand et maigre qui porte des lorgnons s’est déjà tristement distingué lors des attaques contre Villebazy, Lairière, Ribaute et Moux, où il n’a laissé que la mort derrière lui. Son équipe de criminels de guerre semble fort bien rompue aux méthodes expérimentées en Biélorussie. Sans un concours de circonstances, le village de Villebazy aurait dû, par exemple, être entièrement incendié. Il ne sera que pillé…

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© Un village français / Télérama

Donc, ce matin du 7 août 1944 après les renseignements communiqués à la Gestapo par le milicien Fernand Fau (1924-1944) et l’agent français Robert de Lastours, les unités partent de la caserne de la Justice, route de Montréal, à l’assaut du maquis de Trassanel. Se trouvent également des officiers de la police secrète Allemande de Carcassonne, des miliciens ainsi que des unités françaises combattant dans la SS. Le maquis Armagnac formé le 4 juillet 1944 avec des éléments du Corps Franc de la Montagne noire, comprenait à cette époque 85 hommes. Le 7 août 1944, le groupe quitte le camp au lieu-dit " Picarot" pour se rendre à la grotte de Trassanel. Seule, une arrière-garde de sept hommes reste au camp pour faire suivre les munitions et le ravitaillement.

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Hameau de Lacombe

A l’entrée du hameau de Lacombe (Pradelles-Cabardès), le convoi Allemand stoppe à la première ferme qu’il trouve. C’est celle du cultivateur Justin Miailhe, laitier de son état. Sous la menace et pour éviter - selon ses dires - que les membres de sa famille ne soient pris en otage : "J’ai guidé les Allemands, du hameau de Lacombe, mon domicile, à la ferme Laribaud, PC du maquis Armagnac (…) Aucun témoin n’a assisté à la contrainte faite en ma personne par les Allemands, vu que j’étais seul à mon domicile ". Au mois d’août 1944, la ferme Laribaud était inhabitée. Les seules personnes qui la fréquentaient faisaient toutes parties du maquis Armagnac. Dans sa déclaration, Justin Mialhe ajoute : "Après être arrivé à la ferme précitée en compagnie des Allemands, ces derniers ont immédiatement incendié en ma présence, tout ce qui se trouvait sur leur passage. J’ai été ensuite ramené à mon domicile par le même officier qui m’avait contraint de l’accompagner." (Déclaration à la gendarmerie du Mas-Cabardès le 11 janvier 1948)

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Pont de l'Orbiel à La Grave (Ilhes-Cabardès)

Le 8 août 1944 vers 5h30 du matin, M. Rocachet demeurant à "La grave" sur la commune des Ilhes-Cabardès, aperçoit par la fenêtre de sa chambre un soldat Allemand sur le pont de l’Orbiel. Le militaire après avoir lu un papier qu’il tenait entre ses mains, fait signe à un convoi composé d’une soixantaine d’hommes de se diriger vers le Picarot.
Vers midi, Madame Rocachet voit arriver quatre Allemands venant de la forêt du "Picarot", alors qu’elle déjeune avec ses enfants. Ils se dirigent vers le village et rejoignent la colonne qui y stationne. Jusque-là rien de particulier ne se passe, mais vers 18 heures elle entend un groupe d’homme descendant de la forêt. Elle se met alors à la fenêtre et aperçoit quelques jeunes gens : "Je les ai reconnu pour être de la région. Je ne puis dire exactement le nombre (7 à 8) encadrés par une quinzaine de soldats allemands. Ils ont franchi le pont, se sont dirigés vers les Ilhes. Un quart d’heure après, j’ai vu une camionnette venant de la direction des Ilhes qui a stoppé devant ma maison. A ce moment-là, sept jeunes gens, en compagnie d’une dizaine d’Allemands, sont descendus de la camionnette. Le véhicule a fait demi-tour est allé s’arrêter sur le pont de la Grave. Ils ont amené les jeunes gens en direction de la forêt du Picarot et au bout de quelques instants j’ai entendu un coup de feu. J’ai compris que ces jeunes gens venaient d’être fusillés. Aussitôt après, j’ai vu les soldats allemands fusils à la main, ils sont repartis en direction des Ilhes. Prise de peur, je n’ai pu aller vers le lieu du crime. Ce n’est que le lendemain matin qu’un monsieur qui m’a dit être du maquis, m’a demandé où se trouvaient les jeunes gens fusillés de la veille. Je lui ai indiqué l’endroit. Ces jeunes gens ont été fusillés environ 800 mètres de mon habitation, dans une vigne en direction du Picarot."

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Ne le voyant pas revenir l’arrière-garde laissée au Picarot, le chef décide de détacher un groupe de Russes pour savoir ce qu’il était advenu d’elle. Vers 15h30, un de ces hommes revient blessé et s’exclame : "Les Allemands ont fait l’arrière garde prisonnière." Il raconte que leur chef, le lieutenant de l’Armée rouge Alexandre, était blessé et demandait du secours. Pierre Gonzalez se rend alors sur les lieux et ramène le chef Alexandre à la grotte de Trassanel. Pendant ce temps, le chef du maquis Antoine Armagnac donne l’ordre de repli vers Citou. Chargés des bagages et des armes, le groupe quitte la grotte en direction de Cabrespine. Au bout de deux cents mètres, des coups de feu crépitent ; ce sont les Allemands qui les attaquent. A 16h30 heures, les assaillants encerclent et ouvrent le feu sur les hommes du maquis qui ripostent de toutes parts. Les armes et les munitions manquent ; l’ennemi s’acharne à la grenade. Les maquisards sont obligés de se rendre, l’ennemi portant une tenue de camouflage les délestent de leurs portefeuilles. "Plusieurs d’entre-eux parlaient correctement le français", souligne Pierre Gonzalez. D’après Louis Bouisset :  "Parmi les hommes qui faisaient partie de cette expédition, il y en avait quelques uns, dont je ne puis dire le nombre, qui portaient au casque un carré tricolore et qui parlaient correctement le français, ce qui m’a laissé croire que ces hommes, ce n’était tout simplement que de vrais miliciens, mélangés à des soldats Allemands. Je dois vous signaler qu’un milicien du nom de Fau, tué à Conques, a été trouvé en possession du révolver d’Armagnac chef du maquis, qui se trouvait avec nous. A mon avis, pour que cet homme soit en possession de cette arme, c’est qu’il devait se trouver parmi les Allemands, le jour du combat aux environs de Trassanel." (Déclaration à la gendarmerie de Conques le 16 décembre 1945)

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Waffen SS français engagés sur le front Russe

Il s’agit très certainement de français engagés dans la SS au sein de la Légion des Volontaires Français contre le Bolchévisme. Quant à Fau, il est également à l’origine de l’arrestation de Jean Bringer, chef FFI de l’Aude, le 29 juillet 1944.

Mais les Allemands refusant de reconnaître ceux qu’ils appellent terroristes, comme des soldats d’une armée régulière, ne respectent pas les lois de la guerre. A la grotte de Trassanel, les prisonniers valides sont séparés des blessés. Ces derniers, soit huit au total, sont achevés sur place ! Le reste des hommes capturés est conduit au village de Trassanel. Sur la place, les Allemands les font boire et leur donne la moitié d’une cigarette à chacun. La dernière du condamné, sans doute…

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L'église et la place de Trassanel

En colonne par deux, gardés par leurs bourreaux, les jeunes maquisards prennent la route vers Villeneuve-Minervois. A 800 mètres de Trassanel, obligés de descendre dans un petit ruisseau, les Allemands les mettent sur les rangs et leur donnent l’ordre de se serrer. L’officier qui commandait fait mettre les armes en batterie puis dit à ces jeunes maquisards : "Maintenant, camarades, c’est fini, vous pouvez faire votre dernière prière." L’ordre de tirer est alors donné. Ces jeunes tombent les uns sur les autres avant que le coup de grâce ne les achève. Louis Bouisset le reçoit, mais par miracle la balle ne le tue pas. Pierre Gonzalez, d’abord protégé par le cadavre de l’un de ses camarades, il réussit à s’enfuir à travers la vigne ne recevant qu’une balle à la fesse.

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Trassanel

Vers 18h45, deux hommes habillés en Allemand débarque chez Louis Catuffe à Trassanel. Ils lui intiment l’ordre de les accompagner à la cabine téléphonique. En cours de route, l’un d’eux qui parlait un français très pur lui lance les paroles suivantes : "Si vous avez des fils, vous n’avez qu’à les envoyer dans le maquis, vous verrez comment on les arrangera." En arrivant à la cabine téléphonique, le même individu a demandé le 14/96 à Carcassonne. L’opératrice voulant sans doute savoir qui est à l’appareil, l’homme rétorque : "Ici, police Allemande puisque vous êtes si curieuse." La conversation se fait ensuite en Allemand par l’intermédiaire de l’autre homme. Il pourrait s’agir de l’interprète Alsacien du SD René Bach et de Oskar Schiffner, sous-chef de la Gestapo de Carcassonne. (Déclarations à la gendarmerie du Mas-Cabardès le 24 octobre 1944)

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© Le blog des godillots

Lieu de l'exécution des 19 maquisards

A 22 heures, deux voitures et quatre camions Allemands seraient arrivés à Limousis. Paul Guilhem âgé de 52 ans demeurant dans ce village, déclare avoir été contraint de monter avec eux pour leur indiquer la route menant à Trassanel. L’expédition meurtrière étant terminée, pourquoi donc encore un convoi d’Allemands ? Arrivé à Trassanel, le convoi se serait arrêté sur la place. "Ces Allemands m’avaient promis de me ramener à mon domicile mais ils me prirent à Villeneuve-Minervois et me menacèrent de ma prendre à Carcassonne. Finalement, je pus leur échapper." D’après M. Guilhem, l’exécution aux lieu avant que les Allemands ne le prennent à Limousis. (Déclaration à la gendarmerie de Conques le 25 octobre 1944)

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Oskar Schiffner

(Sous-chef de la Gestapo de Carcassonne)

Plusieurs personnes ont été soupçonnées successivement d’avoir dénoncé l’emplacement de ce maquis aux Allemands. Un sieur Chesnais a été abattu pour ce motif par la Résistance, puis René Bach, interprète de la Gestapo, qui a prétendu que le maquis avait été donné par un homme s’étant présenté aux Allemands sous le faux nom de Robert et qu’il désigna comme étant C, cultivateur à Fournes. Ce dernier connaissant l’emplacement puisqu’il avait été chargé de porter le pli lui donnant l’ordre de changer de position. C a fait l’objet d’un non-lieu au bénéfice du doute. Difficile de le condamner sur les seules déclarations de Bach. On a soupçonné les dénommés Chiocca Jean dit le « Marseillais » et Munaretto Bruno, tous deux membres du maquis. Capturés et détenus à la Maison d’arrêt de Carcassonne, ils furent libérés par Schiffner - sous-chef de la Gestapo- - le 19 août 1944, alors que leurs camarades Roquefort Pierre, Hiot Jean et Juste Léon seront massacrés à Baudrigues le même jour.
Pourtant lorsqu’on interroge Munaretto à Bordeaux le 20 août 1948 celui-ci déclare : "Le 8 août 1944, j’ai été fait prisonnier par les Allemands. Lorsque je suis descendu à Trassanel pour chercher du ravitaillement, j’ai été encerclé par les Allemands vers 10 heures du matin. Ceux-ci m’ont obligé sous la menace de mort de les conduire à l’emplacement de mon maquis. J’ai été contraint de m’exécuter et c’est ainsi que plusieurs de mes camarades ont été arrêtés par les Allemands tandis qu’un autre groupe d’Allemands était parvenu aux gorges de Trassanel." L’ancien maquisard sera ensuite amené à Carcassonne pour y être interrogé, selon les méthodes de la Gestapo locale. A cette époque, les interrogatoires étaient menés sous la contrainte par Bach et Schiffner. A t-il parlé ? Sans présumer de la culpabilité ou pas des uns et des autres, on peut simplement s’étonner de deux choses. La première : Chiocca et Munaretto ont été relâchés le 19 août 1944, jour du massacre de Baudrigues. La seconde : Munaretto, mis en présence de Schiffner à Bordeaux en 1948, dira ne pas le reconnaître. Toutes les victimes ont reconnu Klaus Barbie à son procès, c’était 43 ans après…

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La tombe de Fernand Fau au cimetière de Conques

Après le conflit, on a recherché les criminels de guerre. Les membres de la Gestapo de Carcassonne ont été extradés et présentés devant un tribunal militaire : Oskar Schiffner, Hermann Eckfellner, Karl Wenzel, Mücke, Schlutter ont bien entendu refusé de collaborer et ont nié avoir commis ces crimes. Seul Schiffner a été condamné à quelques années de prison… Eckfellner est mort en prison avant son procès. Dieu sait ce que le capitaine Nordstern est devenu après la capitulation nazie. Fernand Fau a été exécuté très rapidement le 18 août 1944 au bord d’une route près de Conques. Aujourd’hui, il repose à 30 mètres environ des maquisards de Trassanel dans le cimetière de Conques-sur-Orbiel. René Bach a été fusillé après son procès en septembre 1945.
Selon Raynaud, chef du maquis Armagnac, on dénombre 43 victimes de cette tragédie. Les rescapés sont Valéro, Vidal, Amor, Demercier, Gonzalez, Bouisset et Doutre.

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© Le Maitron

Inhumation des maquisards

Selon plusieurs témoins, les corps des victimes étaient méconnaissables ; les bourreaux s’étaient acharnées sur elles. Le lendemain du 8 août, le Président du Comité de Libération de Cabrespine M. Joseph Greffier, indique que les hommes du village ont relevé sur les lieux 15 victimes. La Croix-rouge sur place le 10 août, en a identifié cinq et les a inhumés au village. D’autres ont été amenés à Villeneuve-Minervois. Simon Garcès de Cabrespine a constaté que les victimes étaient éparpillées dans le bois, le visage mutilé. Baptiste Jeantet, garde-champêtre à Cabrespine, a reconnu Yves Arnaud de Caunes-Minervois, ramené au domicile de ses parents.
Les victimes identifiées à Cabrespine sont : Roquefort Christophe (Conques), Armagnac Antoine (Conques), Arnaud Yves (Caunes), Cabanes Paul (Lastours), Pepiot Georges (Lastours), Caruesco Angel (46, rue de la République à Carcassonne), Picarel Emile (Conques), Belaud Jacques (Conques), Bruguier (Narbonne), Lavigne Henry (114 rue Marlec à Toulouse), Khilloun Rabias (Salsigne) et Etienne Paul (Mas-Cabardès). Trois n’ont pas été identifiés.
A Villeneuve-Minervois, l’instituteur Emile Revel donne 11 jeunes tués dont les corps ont été amenés au village. Quatre identifiés dont Travain Marcel (Villeneuve), Georges Gaston (Montpellier), Baudevin Jacques, Jules Prosper (Arras) et huit inconnus inhumés au cimetière.

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Les tombes des maquisards de Conques-sur-Orbiel

Sources

Rapports de gendarmerie et auditions des témoins

(1944-1948)

Ces archives ne se trouvent pas à Carcassonne !

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La librairie Breithaupt conserve en ses murs un secret historique...

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Trop peu de Carcassonnais savent aujourd'hui, le secret que renferme la librairie Breithaupt, 33 rue Courtejaire. Le temps fait sont œuvre d'érosion sur la mémoire collective, laissant aux fossoyeurs de l'histoire toute liberté pour agir à ses dépens. Aussi, essayons-nous autant que nous le pouvons, de rétablir ou d'approfondir certaines vérités que la modestie des héros d'hier, a complètement absorbée. Les vrais, ceux qui ont pris des risques, n'ont jamais fait valoir autre chose que leur sens du devoir. 

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 Monsieur Jules Breithaupt, né le 10 juillet 1910 à Carcassonne, mit sa librairie à la disposition de la Résistance pendant toute la durée de la guerre. Comme boîte à lettre "officielle" de l'armée des ombres, elle servit à faire transiter des messages entre les différents responsables et les maquis. Ces lettres se trouvaient placées en haut de la dernière étagère et lorsqu'un Résistant se présentait, il n'avait qu'à dire le mot de passe suivant : "Je recherche un livre de..." L'auteur, bien entendu, n'existait pas ! Jules Breithaupt recevait également dans son magasin le gratin de la Résistance régionale : Gilbert de Chambrun, Jean Graille, Jean Bringer, Lucien Roubaud, etc. Un bon endroit pour ne pas se faire remarquer ? Pas tant que cela... Louis Amiel, le bras droit de Bringer, faillit être confondu par la Gestapo alors qu'il avait acheté des cartes d'Etat-major chez Breithaupt. Par chance, lorsqu'il fut arrêté par elle, les agents de la sinistre police secrète Allemande allèrent à deux magasins de là chez Roudière, afin de prouver qu'Amiel s'était fourni chez eux. La Kommandantur était cliente de Roudière pour ses imprimés, mais aucun employé ne reconnut le futur Président du Comité Local de Libération. Quelque temps après, Amiel fut relâché.

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A la libération, Jules Breithaupt obtint sa carte de Résistant. Sans exagérer, on peut dire que sa librairie n'est pas qu'un lieu de culture, c'est aussi un lieu de mémoire de la Seconde guerre mondiale. 

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L'oraison funèbre de l'écrivain Pierre Sire par Joë Bousquet

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"Pierre Sire est mort à Carcassonne à cinquante-deux ans. Il avait publié des romans, quelques poésies, collaborait régulièrement aux Cahiers du sud. La biographie de cet écrivain tient en quelques lignes. Né à Coursan, il a fait ses études à Carcassonne, a séjourné un an en Espagne avant d’entrer au 81e d’Infanterie. Deux ans de service, plus de quatre ans de guerre, des mois de captivité.

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Pierre Sire

(1890-1945)

Abondamment cité et décoré, il est en 1939, capitaine et chevalier de la Légion d’honneur et rejoint un bataillon alpin. Après, il connaît, comme nous tous, les humiliations de la défaite et chassé de son logis par un soudard, surmené par tous les devoirs auxquels il s’astreint, inscrit, dès 1941, dans la Résistance, il mène dans la grande misère des années sordides par une douloureuse et lucide agonie.
Sire, comme il le disait lui-même, en s’amusant beaucoup, était un des ces Français que le Maréchal Pétain accusait d’avoir beaucoup revendiqué et peu servi ; en vérité, toute sa vie d’interne à l’Ecole Normale et les dures vacances qu’il passait avant 1914, dans un village affamé par la crise viticole, outre les douze ans vécus sous la loi des guerres, Pierre Sire, comme tous ses collègues, avait connu les humiliations du fonctionnaire payé en francs de fumée et condamné à mendier le peu qui lui était nécessaire. A t-on besoin de montrer la sottise de ce reproche qui néglige les causes et condamne les victimes, essayant de déshonorer ceux qui, n’ayant jamais connu l’aisance, n’ont pu végéter sans revendiquer. Parfois, ses yeux s’éclairaient. Avec une curiosité d’enfant, il interrogeait ses amis sur leur adolescence inactive, sur leur jeunesse dévoyée ; à la lumière de leurs paroles, il se faisait une idée de ce que la bourgeoisie paresseuse appelait le bonheur. Il s’était voué à l’enfant qu’il avait choisi avant d’être un homme et, fiancé dans l’innocence, toute sa vie, il avait entretenu une seule ambition : incarner le bonheur et l’orgueil de celle que, par un instant, il n’avait cessé d’admirer et de chérir. Son activité littéraire, son activité sociale supposaient ce don entier de sa personne qui, en le vouant à un être l’approchait de son idéal, et lui inspirait ce sentiment qui, ces dix dernières années, a fait de lui la conscience d’un groupe où personne désormais, ne peut plus se passer de son souvenir : Pierre Sire avait pitié de ceux qui doutaient.


Une philosophie fort à la mode en ce moment, et issue, nul ne s’en étonnera, d’un cerveau gagné au nazisme, suggère que l’existence est absurde. Rien de plus admirable que le produit de cette honnête spéculation. La pensée ne peut pas donner un sens à l’existence, qui la domine et la fait ce qu’elle est ; et comme elle ne sait pas devant ce résultat, avouer son impuissance, au lieu de douter de ses propres calculs, elle doute de la vie. Or, une conviction est bien acquise aux hommes d’âge mûr. Ils ont appris à mépriser les livres, cependant ils savent que la conscience d’un homme n’est pas le fruit du temps, mais la force du temps ; ils savent que personne ne vit, ni ne meurt au hasard. On dirait que nous naissons pour affronter la vie qui nous est faite et lui substituer toute une vie que nous sommes.
Aussi profondément déchirés par la mort de Pierre Sire, nous n’oserons cependant pas dire qu’il est mort trop tôt. Ce n’est pas à notre cœur d’appeler prématurée l’heure où sa conscience a pris la place de sa personne. Il ne nous reste qu’à interroger notre raison. Peut-être apprendra t-elle, elle qui ne connaît pas la mort, les devoirs qui nous sont dictés par cette existence entrée aujourd’hui dans la vérité et devenue pour toujours la lumière de nos mémoires.

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Le jardin Pierre et Maria Sire au pied du Pont vieux

Il y a trois parts à distinguer dans l’existent de Pierre Sire. d’abord, le confident et les disciple de Claude Estève, qui prépare, avec Mme Sire, ses premiers livres dans sa solitude studieuse de Cailhau. Cet officier - revenu à 25 ans de la guerre - ne pense qu’à recommencer ces études. Il sait qu’un homme est tout ce qui existe moins le peu qu’il est lui-même. Il n’a pas de protecteurs, il n’a nulle ambition. Comme Claude Estève qui, en sortant de Normale Sup s’est mis à l’école des poètes de vingt ans, il recommence sa culture, il travaille.


Un jour, un poste sera libre au lycée de Carcassonne. Quelques amis voient le Préfet de l’Aude, lui demandent quelles démarches il faut entreprendre pour caser Pierre Sire au chef-lieu. « Fichez-moi la paix avec vos recommandations » répond l’administrateur avec force. « Il s’agit du meilleur maître du département. Qu’il demande le poste et nous le lui donnons, son inspecteur et moi. Mais il n’a que des désavantages professionnels à l’obtenir ». Pierre Sire était un excellent professeur. Il ne prenait pas un grand souci de ses intérêts professionnels. Il demanda et obtint le poste de Carcassonne. Ainsi s’ouvrit la deuxième période de sa vie qui se confond, comme nous le verrons bientôt, avec l’activité du groupe audois. Notons enfin avec respect et émotion que la mort de Pierre Sire intervient à l’apogée de la troisième période, celle qui faisait de lui le maître et l’initiateur de ceux que des ambitions et des goûts artistiques avaient d’abord réunis.


Un jour, sous son influence, et sans cesser de former une association intellectuelle, nous comprenons qu’écrire n’est pas un jeu. Ce qui est l’intérêt des lettres, c’est la réalité sociale qu’elles mettent en jeu. Sire nous persuade que l’écrivain est l’élu d’une société d’esprits, et qu’il ne parle bien aux hommes que s’il a conscience de parler en leur nom. Cette période avait été préparée par les relations quotidiennes jadis entretenues avec le grand socialiste Frantz Molino.
Depuis longtemps, Roubaud était des nôtres. C’est l’honneur de Sire d’avoir compris le premier que journalistes, théoriciens du socialisme, militants du progrès politique et moral avaient beaucoup à nous apprendre et devaient entrer d’office dans notre association de travailleurs. Guille, Milhaud, Vals devenaient nos amis et nous nous avisions que nos buts étaient les mêmes. Une association France-URSS allait se fonder à Carcassonne et nous demander de collaborer avec elle. On jetait, avec notre ami M. Lavielle, les bases d’un Cercle français co-anglais. Sire était l’homme de tous ces projets et si nous l’avons bien compris, il en serait l’âme désormais."

Nos articles sur Pierre Sire

http://musiqueetpatrimoine.blogs.lindependant.com/tag/pierre+sire

http://musiqueetpatrimoine.blogs.lindependant.com/archive/2017/03/05/le-jardin-pierre-et-maria-sire-224133.html

Source

Midi-Libre / Avril 1945

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